La forficule, à la fois auxiliaire et ravageur
La forficule, appelée aussi « perce-oreille », est un insecte de l'ordre des dermaptères, comprenant 1 784 espèces réparties dans 182 genres et 11 familles. Parmi ces espèces se retrouve Forficula auricularia L., plus communément appelée forficule européenne, une espèce cosmopolite devenue un ravageur agricole sur presque tous les continents. Une autre espèce, Forficula pubescens, est également présente dans les vergers en zone méditerranéenne.
La forficule est lucifuge : elle passe la journée cachée dans des endroits confinés, obscurs, frais et humides tels que les anfractuosités de l'écorce des arbres ou les crevasses du sol. À la nuit tombée, le perce-oreille devient actif. Son activité nocturne est influencée par les conditions météorologiques, notamment des températures stables. Son seuil thermique bas est de 6 °C.
Selon les situations, la forficule peut être considérée comme un auxiliaire ou un ravageur. En effet, la forficule est un prédateur de pucerons, mais à l'approche de la maturité des fruits, elle peut occasionner des dégâts. Elle est appréciée dans les vergers de pommes et de poiriers mais redoutée par les producteurs de fruits à noyau : ses morsures vont de 3 à 10 mm de diamètre (Figure 1) et sont propices au développement de maladies fongiques en plus de déprécier les récoltes.
Pour en savoir plus : La forficule : un insecte auxiliaire et ravageur, INFOS CTIFL N°318, janvier-février 2016.
Comment les forficules se déplacent-elles entre haies et vergers ?
Pour mieux comprendre les dynamiques de déplacement des forficules entre les vergers et leurs zones refuges comme les haies, des expérimentations sont menées en 2021 et en 2022. Ces travaux sont conduits sur une parcelle d'abricotiers de la variété Apridélice, située sur le centre CTIFL de Balandran et conduite en agriculture biologique. Deux types de dispositifs de suivi sont mis en place : des pots Barber et des pièges de type pots de fleurs, chacun ayant ses objectifs et sa méthodologie.
Les pots Barber pour analyser les sens de déplacement
Le premier dispositif, basé sur le principe des pots Barber, vise à déterminer le sens de déplacement des forficules pour identifier si elles migrent du verger vers la haie ou inversement. Un pot Barber est un pot piège qui permet un échantillonnage de la faune qui se déplace au sol. C'est un récipient à parois lisses, enfoncé dans le sol, dont l'ouverture affleure le niveau du sol.
Les pots sont disposés dans deux zones situées entre une haie composite et les arbres fruitiers, chaque zone comporte deux pièges. Pour orienter les déplacements, des plaques métalliques sont installées afin de canaliser les insectes vers les pots. Ainsi, un piège capte les individus se dirigeant du verger vers la haie, tandis que l'autre intercepte ceux allant de la haie vers le verger (Figure 2).
Initialement, les pots sont vides, mais un liquide de piégeage - mélange d'eau, d'alcool et de détergent - est ajouté afin d'augmenter l'efficacité des captures. Malgré ces ajustements, les résultats sont restés très limités : moins de 15 individus sont capturés par pot et par date d'observation sur les deux années d'observation. Ces faibles niveaux de piégeage n'ont donc pas permis de tirer de conclusions fiables quant aux trajectoires des forficules.
Des pièges en pots de fleurs pour suivre les populations
En parallèle, un autre protocole est testé à l'aide de pots de fleurs remplis de frisure de bois et placés à la fois dans les haies (4 pots) et au sein du verger (8 pots) (Figure 2). Ces pièges visent à surveiller la présence et l'évolution des populations au fil des saisons.
En 2021, les observations montrent que les forficules sont déjà présentes dès le début du mois de mai dans les haies. Deux pics de population y sont enregistrés : le premier vers la mi-mai et le second à la mi-juillet. (Figure 3). Fait intéressant, la récolte des abricots s'est déroulée entre les 24 et 29 juin, soit entre ces deux pics. Cela a conduit à formuler une hypothèse comportementale : les forficules quitteraient la haie à l'approche de la maturité des fruits, pour y retourner après la récolte.
L'année suivante, en 2022, les captures dans les haies se révèlent très faibles (moins de 50 individus), sans explication claire (Figure 4). Pourtant, les populations observées dans le verger sont particulièrement importantes, avec deux pics significatifs : l'un début mai et l'autre fin juin, en concordance avec la récolte située entre les 16 et 29 juin cette année-là. Ce schéma récurrent va dans le sens de l'hypothèse précédente : les forficules semblent coloniser les vergers en début de saison, quitter temporairement la zone, puis revenir au moment de la maturation des fruits, avant de repartir après la récolte. Cependant, cette hypothèse ne peut être confirmée en l'état. Une année avec des populations à la fois dans les haies et dans les vergers permettrait de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse.
Existe-t-il des substances capables d'attirer ou de repousser les forficules ?
Dans l'optique de développer des stratégies de gestion alternatives aux insecticides, les recherches ont également porté sur l'identification de molécules attractives ou répulsives. L'idée est simple : favoriser le piégeage des forficules en verger ou, au contraire, provoquer leur éloignement des zones sensibles, notamment durant la maturation des fruits.
Premiers essais en laboratoire : des pistes prometteuses
En 2021, à la suite d'un épisode de gel ayant compromis les essais en verger, les tests sont transférés en laboratoire. Le choix des molécules s'est appuyé sur la composition des fruits : le fructose, le saccharose et l'acide malique sont ainsi retenus. Chaque molécule est testée à deux concentrations : 10 g/l et 100 g/l. Une huile de poisson est également incluse aux tests. Cette huile a présenté une forte attractivité auprès des forficules à la suite d'observations de terrain réalisées dans un autre cadre que la recherche sur les forficules.
Le protocole est le suivant : des lots de 30 forficules, prélevées sur le terrain le jour même, sont placés dans des caisses contenant deux godets, un godet témoin et un godet contenant une frisure de bois imprégnée de la substance testée (Figure 5) - l'imprégnation avec l'huile de poisson n'a pas été exploitable. Après une période simulant la nuit puis le jour, les individus présents dans chaque godet sont dénombrés pour évaluer l'effet d'attraction ou de répulsion des substances testées.
Les résultats sur les molécules qui composent les fruits ont permis d'esquisser quelques tendances non vérifiées statistiquement : l'acide malique semble exercer un léger effet répulsif et le fructose montre une attractivité modérée. Ces observations, bien que préliminaires, ont permis d'orienter les essais vers des conditions de terrain plus réalistes.
Transfert des essais au verger : l'huile de poisson se démarque
En 2022 et 2023, les expérimentations sont reprises en conditions réelles, dans un verger d'abricotiers, avec un objectif : confirmer l'effet attractif de certaines substances. Quatre modalités sont testées, en imbibant un coton placé dans un piège à forficules : une modalité témoin sans substance ajoutée, une modalité avec du fructose à 10 g/l, une modalité avec de l'huile de poisson pure et une modalité avec de l'huile essentielle de basilic, choisie pour son potentiel attractif alimentaire.
Pour chaque modalité, quatre pièges de type pot de fleurs sont mis en place environ un mois avant la récolte. Les pièges sont relevés chaque semaine. Pour éviter les biais de positionnement, les pots sont déplacés après chaque dénombrement.
Les résultats présentés dans la figure 6 montrent que l'huile de poisson s'est révélée, à plusieurs dates, plus attractive que toutes les autres modalités, y compris le témoin. Cette conclusion corrobore les constats de terrain antérieurs, où de nombreuses forficules étaient retrouvées dans des récipients contenant cette huile. À l'inverse, ni le fructose ni l'huile essentielle de basilic n'ont montré d'effet significatif, que ce soit en termes d'attraction ou de répulsion.
Les produits insecticides testés ne permettent pas une gestion efficace des forficules
En complément des recherches sur les déplacements des forficules et les molécules attractives, des essais insecticides sont conduits en 2023 et en 2024. L'objectif est d'évaluer si certains produits, d'origine naturelle ou biologique, peuvent limiter les populations de forficules dans les vergers d'abricotiers et réduire les dégâts causés aux fruits.
Au total, sur deux années, six produits sont testés et appliqués sur des parcelles d'abricotiers selon un protocole strict (Figure 7). Les produits testés ne sont pas homologués pour la gestion des forficules. Trois traitements sont réalisés pour chaque produit, avec un intervalle de sept jours entre chaque application. Le premier traitement est effectué trois semaines avant la récolte.
Des pièges de type pots de fleurs, identiques à ceux utilisés dans les précédents essais, sont installés dans chaque modalité. Les suivis hebdomadaires ont permis de quantifier les populations de forficules, tandis qu'une notation des dégâts sur les abricots est réalisée au moment de la récolte.
Malgré la diversité des produits testés, les résultats sont insatisfaisants. Aucun traitement n'a permis de réduire de manière significative les populations de forficules et aucune diminution des dégâts sur fruits n'est observée. De plus, les produits appliqués en 2023 ont laissé des résidus visibles sur les fruits, provoquant des taches ou des marquages (Figure 8). Ces effets secondaires compromettent l'aspect commercial des abricots et ne peuvent donc pas être utilisés en l'état.
Conclusion
Les travaux ont permis de mieux comprendre les comportements saisonniers des forficules et d'identifier des pistes attractives comme l'huile de poisson qui pourrait être utilisée à des fins de piégeage. Toutefois, les essais des insecticides, dans les conditions testées, n'apportent pour l'instant aucune solution fiable pour gérer ce ravageur. De nouvelles approches, combinant attractifs et méthodes de piégeage physique, devront être explorées pour offrir une alternative durable et compatible pour accompagner la pérennité des exploitations arboricoles.
Les données clés à retenir
Dynamiques de déplacement et gestion des forficules en vergers d'abricotiers - Gestion intégrée des ravageurs dans les vergers méditerranéens
Dans le cadre de la gestion des pucerons, les forficules peuvent être des auxiliaires mais, à l'approche de la récolte, sur les fruits à noyau, elles deviennent des ravageurs. Les forficules sont présentes précocement dans les vergers et les haies et passent des uns vers les autres. Elles se retrouvent majoritairement dans les vergers dans les semaines qui précèdent la récolte. L'ajout d'huile de poisson dans les pièges pour forficules permet d'augmenter la quantité d'insectes capturés. Concernant les produits insecticides évalués, dans les conditions des essais, aucun produit n'a permis de diminuer les populations dans les vergers ni les dégâts sur les fruits.
Key points
Movement dynamics and management of earwigs in apricot orchards - Integrated pest management in Mediterranean orchards
Concerning aphid control, earwigs can be beneficial insects, but on stone fruit, as harvest approaches, they become pests. Earwigs are present at an early stage in orchards and hedgerows, moving from one to the other. They are mainly found in orchards in the weeks leading up to harvest. Adding fish oil to earwig traps increases the number of insects caught. All the insecticides tested under trial conditions failed to reduce orchard populations or fruit damage.