Introduction
Le projet FERTIBIO vise à obtenir des références technico-économiques sur des stratégies de fertilisation représentatives des pratiques des agriculteurs et sur des stratégies plus innovantes. Il est financé par la région Occitanie et l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse de 2024 à 2026.
Ce projet est né d'un besoin, pour les acteurs en maraîchage et en arboriculture, d'obtenir des références actualisées relatives à la mise en oeuvre et au pilotage de la fertilisation. En effet, la fertilisation est un enjeu important, notamment en Occitanie, puisque de nombreuses collectivités sont concernées par les zones vulnérables à la pollution aux nitrates. En outre, les rendements des cultures et la qualité de la production sont directement impactés dans les cas d'une surfertilisation ou d'une sous-fertilisation : attaques de bioagresseurs, qualité gustative, conservation, etc. Ainsi, certaines stratégies de fertilisation pourraient permettre de limiter la pollution engendrée par le lessivage de l'azote tout en assurant un rendement et une qualité satisfaisants. Les stratégies évaluées sont également susceptibles d'améliorer la résilience des systèmes de culture comme avec des apports de matières organiques et d'engrais verts améliorant la structure du sol.
En plus de ces contraintes économiques et réglementaires, des contraintes techniques s'ajoutent. Les références des besoins des cultures sont souvent anciennes [1] et le manque actuel de connaissances sur la cinétique de minéralisation des engrais et des amendements organiques peuvent entraîner des difficultés de pilotage de la fertilisation. Il existe des outils comme AZOPRO, qui recensent la minéralisation de nombreux produits organiques (amendements et engrais) en conditions standardisées.Cependant, les facteurs abiotiques comme les conditions météorologiques et le type de sol peuvent influer sur ces cinétiques.
Ces travaux sur l'évaluation et l'optimisation de la fertilisation en maraîchage et en arboriculture biologiques ont débuté en 2024. Les essais sont conduits sur des rotations typiques du Sud-Est de la France. En maraîchage, les cucurbitacées et la salade font partie des principales espèces cultivées en Occitanie et sont, de ce fait, des espèces à enjeu dans la région [2]. Pour cette première année, une culture de pastèque est mise en place, suivie d'une culture de salade qui est récoltée à l'automne. En arboriculture, ce sont des pêchers et des abricotiers qui sont implantés car ces espèces font également partie des principales espèces cultivées en Occitanie [3].
Fertilité du sol et fertilisation en agriculture biologique
La fertilité du sol est définie comme « la capacité continue d'un sol à fonctionner comme un système vivant, dans les limites de l'écosystème et de l'utilisation du terrain, pour soutenir la productivité biologique, maintenir la qualité de l'air et de l'eau, et promouvoir la santé des plantes, des animaux et des hommes » [4]. En somme, un sol fertile rend de nombreux services écosystémiques. Cette fertilité est caractérisée par trois composantes : chimique, physique et biologique. La composante chimique correspond à la capacité d'un sol à fournir des éléments nutritifs (éléments principaux et oligoéléments) pour les cultures. La composante physique correspond à la capacité du sol à créer ou maintenir une structure du sol favorable aux cultures en permettant l'exploration racinaire, la circulation de l'eau et l'aération. Enfin, la composante biologique, appelée aussi organo-biologique, correspond à la capacité du sol à héberger des organismes vivants utiles à la production [5]. Ces trois composantes de la fertilité sont interconnectées et s'influencent mutuellement. Ainsi, par exemple, la biomasse microbienne diminue quand la densité apparente du sol augmente. Cette biomasse est également sensible au pH et est plus faible lorsque le pH du sol est acide.
Les matières organiques sont au coeur de ces trois composantes. La fertilisation des cultures, réalisée à l'aide d'amendements et d'engrais organiques, agit donc sur ces composantes. Généralement les effets des apports sont visibles sur un pas de temps de plusieurs années. La stratégie de fertilisation se raisonne à partir d'une connaissance du statut organique du sol c'est-à-dire de la quantité et de la qualité des différents types de matières organiques et du potentiel de minéralisation. Ce potentiel est essentiellement dû à la biomasse microbienne. En agriculture biologique, la fertilisation des cultures est souvent raisonnée en donnant une place importante à la composante biologique et par une approche globale en prenant en compte la fertilité des sols et plus particulièrement leur santé [6], [7].
Une enquête sur les pratiques de fertilisation en maraîchage biologique
Une enquête, conduite en 2023 [8], a identifié les stratégies de fertilisation mises en place par les producteurs de légumes biologiques. Son objectif était de récolter des informations qualitatives sur la diversité des pratiques, sans vraiment fournir de données chiffrées généralisables à l'ensemble de la profession. Des entretiens ont eu lieu en présentiel ou en visioconférence. Parmi les enquêtés figurent des maraîchers mais aussi des conseillers techniques répartis dans cinq régions métropolitaines. 70 % des enquêtés sont concernés par les zones vulnérables aux nitrates. Les cultures principales des exploitations sont la salade, la tomate, le chou et la courgette. Les résultats de l'enquête montrent que, pour la fertilisation, les exploitants utilisent des références techniques comme les grilles du groupe GREN et des références empiriques, ainsi que des informations données par des conseillers techniques. 70 % des enquêtés considèrent que la fertilité de leurs sols est un élément important à suivre.
Les engrais verts sont largement pratiqués puisqu'ils sont utilisés par 90 % des exploitants. Les difficultés rencontrées concernent l'accès aux semences biologiques et l'adéquation entre semis, destruction et calendrier cultural car de bonnes conditions météorologiques sont nécessaires pour la destruction des engrais verts. Les espèces régulièrement employées dans ces engrais verts sont les légumineuses en hiver et le sorgho en été, ainsi que les mélanges avoine/vesce et avoine/féverole. Les enquêtés considèrent que ces engrais verts contribuent à augmenter le taux de matière organique dans les sols. Des apports de matières organiques supplémentaires sont effectués par 90 % d'entre eux car ils estiment que cela améliore la structure du sol. Les principaux amendements utilisés sont les fumiers de bovins et les composts de déchets verts. Leur usage dépend de leur disponibilité, les fumiers étant plus difficiles à trouver. Cependant, la qualité des amendements peut être variable, notamment pour le compost de déchets verts qui peut présenter des corps étrangers ou être contaminé par des graines d'adventices.
En ce qui concerne la fumure de fond, il y a, à parts égales, un groupe d'enquêtés la réalisant systématiquement avant chaque culture tandis que l'autre groupe la réfléchit en fonction des besoins de la culture et du précédent cultural. Il existe une bonne disponibilité des engrais organiques et une grande diversité de produits. Concernant la fertirrigation, les enquêtés sont davantage partagés sur son usage et son développement. Des problématiques de bouchage de tuyaux et de prix trop élevés des engrais ont été soulignées par environ 40 % des utilisateurs. Cependant, pour certains, la fertirrigation est une technique pratique de fertilisation. Le pilotage de la fertilisation se fait, pour 50 % des enquêtés, par des analyses de sol en laboratoire ou bien par des analyses d'azote nitrique au Nitracheck. Cependant, elles ne sont pas réalisées plus d'une fois par an. Les autres enquêtés s'appuient sur le conseil technique pour le pilotage de la fertilisation ou les grilles de calcul. 10 % n'exercent aucun pilotage de la fertilisation.
Stratégies testées en maraîchage
Chaque année du projet, trois stratégies de fertilisation sont testées (Figure 1). Elles sont établies à partir de l'enquête réalisée en 2023, de sorte qu'elles soient représentatives des pratiques exercées par les agriculteurs. Elles sont construites selon un gradient de capacité d'amélioration de la fertilité globale du sol et d'enrichissement en humus : la stratégie dite « intensive » repose sur l'assouvissement direct des besoins nutritifs des cultures alors que la stratégie « extensive » porte une grande attention à la fertilité globale du sol et la stratégie dite « intermédiaire » se situe entre les deux.

La stratégie intensive se base sur l'apport d'une fumure de fond. Pour les cucurbitacées, elle est complétée par de la fertirrigation organique en cours de culture. La stratégie intermédiaire s'appuie sur un apport de fumure de fond et d'un compost de fumier de volaille avant plantation. La modalité extensive est basée sur une fumure de fond potassique et non azotée suivi de l'apport d'un compost de fumier de bovin avant la culture. À l'automne, après la récolte de salade, cette stratégie est complétée par un apport de compost de déchets verts (Figure 2).

Pour les trois stratégies, après la récolte de la salade, un semis d'engrais vert sera effectué. Dans les stratégies intensive et intermédiaire, les mélanges apporteront davantage d'azote que dans la stratégie extensive, pour laquelle un effet structurant sur le sol est également recherché. Les performances agronomiques de ces différentes stratégies seront évaluées sur le sol avec des mesures de structure du sol (test bêche), de fertilité chimique (analyses Nitrachek tout au long de la culture) et de l'activité biologique (test de décomposition de la matière organique, test de détermination des groupes fonctionnels des vers de terre). Les rendements et la qualité des productions seront également évalués. Ces indicateurs permettront d'effectuer une analyse technico-économique et une comparaison des stratégies.
Stratégies testées en arboriculture
Pour l'essai en arboriculture, deux espèces fruitières sont plantées début 2024 : l'abricotier avec la variété Delicot sur le porte-greffe Montclar et le pêcher avec la variété Nabury sur le porte-greffe GF 677. Les arbres sont conduits en gobelet pour l'abricotier (densité 6 × 3,8 m) et en simple Y pour le pêcher (6 × 2,2 m) (Figure 3).

Trois stratégies de fertilisation sont testées : elles sont toutes définies sur une base d'apports équivalents en azote. La première stratégie, nommée Fertirrigation, est mise en place avec essentiellement de la fertirrigation non enterrée en micro-aspersion d'avril à août. Cette fertilisation organique liquide est complétée par un apport d'engrais solides en sortie d'hiver, avant que le système d'irrigation soit fonctionnel. Une seconde stratégie, appelée Agroécologie, comprend des apports fournis par des couverts végétaux en interrang (Figure 4) et des apports solides d'engrais à minéralisation moyennement rapide. Le rang de plantation est semé avec un couvert permanent de trèfle souterrain (Figure 5). Enfin une troisième stratégie, la référence producteur, correspond à une fertilisation basée sur des apports d'engrais organiques solides fractionnés, à minéralisation rapide.


L'intérêt est d'évaluer des stratégies plus ou moins coûteuses. En effet, la fertirrigation se développe en agriculture biologique. Les avantages de cette technique sont multiples : un apport plus rapide de l'azote à la plante, une réduction de la fluctuation de la concentration en nutriments dans le sol, un gain en temps de main-d'oeuvre, une réduction des pertes d'azote avec un engrais apporté de manière localisée et une application d'engrais possible lorsque les conditions du sol ou de la culture ne permettent pas l'entrée de machines sur la parcelle [9], [10]. Néanmoins, cette technique a un coût très élevé car les engrais organiques liquides sont environ dix fois plus coûteux que les engrais solides, ce qui impacte fortement les coûts de production.
Comme en maraîchage, des indicateurs de la fertilité du sol seront suivis de façon annuelle ou sur des pas de temps plus important : teneurs en matières organiques des différentes fractions et activités microbienne du sol, mesures rapides de la teneur en nitrate (Nitrachek), suivis des dynamiques de minéralisation de l'azote, suivis de la vie biologique (vers de terre, pots Barber) et de la structure (test bêche).
Des outils de pilotage pour optimiser les stratégies
Des outils de pilotage de la fertilisation sont nécessaires pour rendre compte de l'état de nutrition des cultures et de la teneur en certains éléments du sol afin d'aider dans la prise de décision des apports durant le cycle des cultures. Le projet Fertibio permettra de tester certains de ceux actuellement disponibles sur le marché. Pour ce qui concerne les outils de mesures de la nutrition azotée des plantes, une piste envisagée est l'utilisation d'appareils de mesure par spectroscopie pour évaluer l'azote des plantes : comme le N-tester, le SPAD, le at-LEAF. Ces appareils mesurent indirectement la teneur en azote contenu dans les feuilles à partir de la teneur en chlorophylle, puisque ce pigment est corrélé à la présence d'azote dans les feuilles. Pour les outils de mesures de la teneur azotée du sol, des outils comme des lysimètres ou la sonde Nutrisens semblent intéressants. Cette dernière permet d'appréhender la consommation du nitrate par les plantes via le suivi en continu du taux de nitrate dans le sol, que ce soit proche des racines ou bien plus en profondeur pour mesurer un éventuel lessivage. Les outils de pilotage seront choisis et utilisés à partir de 2025 afin d'optimiser les stratégies de fertilisation mises en place.
Les données clés à retenir
Choisir et optimiser sa stratégie de fertilisation en culture biologique - Fertilisation en maraîchage et arboriculture biologique
Le projet FERTIBIO compare des stratégies
de fertilisation sur un plan agronomique et
technico-économique. Il vise à apporter des références sur le pilotage de la fertilisation des cultures biologiques. Les stratégies testées sont établies en suivant un gradient d'intensification basé sur des apports en fertirrigation ou, au contraire, selon une approche agroécologique à l'aide de couverts végétaux et d'apports d'amendements organiques (compost, fumier). Les modèles choisis sont la pastèque et la salade en maraîchage et le pêcher et l'abricotier en arboriculture. Des outils de pilotage seront testés pour optimiser les stratégies d'apports.
Key points
Choosing and optimising your fertilisation strategy in organic farming
The Fertibio project in organic market gardening and tree fruit production
The FERTIBIO project compares fertilisation strategies from an agronomic and technico-economic point of view. Its aim is to provide benchmarks for managing fertilisation on organic crops. The strategies tested follow an intensification gradient based on fertigation or, on the contrary, an agroecological approach using cover crops and organic amendments (compost, manure). The crops chosen are watermelon and lettuce for market gardening, and peach and apricot for tree fruit production. Management tools will be tested to optimise application strategies.
Bibliographie / Sitographie
[1 H. Vedie, « DOSSIER SPECIAL Fertilisation azotée en maraîchage biologique de plein champ »:, 2010.
[2] Chambre d'Agriculture Occitanie, « AGRISCOPIE Maraichage.pdf ». Consulté le: 25 avril 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://occitanie.chambre-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Occitanie/076_Inst-Occitanie/Documents/Agriscopie/Agriscopie_2021/AGRISCOPIE-Maraichage-crao2021.pdf
[3] Chambre d'Agriculture Occitanie, « AGRISCOPIE-Arboriculture ». Consulté le: 20 août 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://occitanie.chambre-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Occitanie/076_Inst-Occitanie/Documents/Agriscopie/Agriscopie_2021/AGRISCOPIE-Arboriculture-crao2021.pdf
[4] J. W. Doran et M. R. Zeiss, « Soil health and sustainability: managing the biotic component of soil quality », Appl. Soil Ecol., vol. 15, no 1, p. 3-11, août 2000, doi: 10.1016/S0929-1393(00)00067-6.
[5] COMIFER, Éd., Guide de la fertilisation raisonnée, 2 éd. in Agriproduction. Paris: Éditions France agricole, 2017.
[6] FAO, « Introduction à l'agriculture biologique ». 2015. Consulté le: 31 juillet 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://openknowledge.fao.org/server/api/core/bitstreams/df4d5df6-0691-4302-a7b8-c8d441248e79/content
[7] IFOAM, « LES PRINCIPES de L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE ». Consulté le: 31 juillet 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://www.ifoam.bio/sites/default/files/2020-05/poa_french_web.pdf
[8] J. Pellat, « Fertilisation en agriculture biologique - Enquête : pratiques et stratégies de maraîchage », nov. 2024. Consulté le: 31 juillet 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://www.ctifl.fr/fertilisation-en-agriculture-biologique-enquete-pratiques-et-strategies-de-maraichage
[9] Institut Français de la Vigne et du Vin, « La fertirrigation », IFV Occitanie. Consulté le: 3 mai 2024. [En ligne]. Disponible sur: https://www.vignevin-occitanie.com/fiches-pratiques/vignobles-innovants-et-ecoresponsables/la-fertirrigation/
[10] U. Kafkafi et S. Kant, « FERTIGATION », in Encyclopedia of Soils in the Environment, Elsevier, 2005, p. 1-9. doi: 10.1016/B0-12-348530-4/00227-7.