Déprédation des cultures légumières par les oiseaux : défis et solutions innovantes

Limiter les pertes au champ

Déprédation des cultures légumières par les oiseaux : défis et solutions innovantes
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Colombidés et corvidés engendrent d'importantes pertes économiques par déprédation des cultures. La lutte s'effectue avec des effaroucheurs acoustiques et/ou visuels. Des innovations telles que les robots et les drones complètent ce tableau. Malgré des résultats mitigés, combiner ces techniques à des innovations numériques offre des perspectives qui doivent être évaluées.

Publié le 01/03/2025

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Enjeux et méthodes d'effarouchement

La déprédation des cultures légumières par les oiseaux, notamment les colombidés (pigeons, tourterelles) et les corvidés (corbeaux, corneilles), représente un défi majeur pour les agriculteurs. Ces oiseaux causent des dégâts significatifs qui entraînent des pertes économiques importantes. Les dégâts causés par les colombidés et les corvidés peuvent varier en fonction des régions et des types de cultures. Par exemple, en France, les pertes économiques dues aux oiseaux déprédateurs peuvent atteindre plusieurs milliers d'euros par hectare. Les cultures de tournesol et de maïs sont particulièrement vulnérables, avec des pertes estimées à environ 10 à 20 % de la production annuelle [1].

En production légumière, la plupart des dégâts de colombidés, principalement ceux du pigeon ramier (Columba palumbus), concerne les jeunes plants dont les feuilles peuvent être picorées jusqu'à défoliation totale en cas de forte attaque (Figure 1). Chez les corvidés, ce sont des dégâts d'arrachage et de déracinement des plants qui empêchent la replantation et génèrent des pertes importantes (Figure 2). Sur la moyenne des montants de dégâts déclarés entre 2008 et 2015 dans le Finistère, toutes filières confondues, 51 % étaient dus aux corvidés (choucas des tours, corneille et corbeau freux) et 29 % aux colombidés (pigeon ramier) [2]. Lors d'une récente enquête toujours dans le Finistère, seuls 23 % des producteurs interrogés indiquent avoir déclaré les dégâts via le système de renseignement mis en place [3]. En 2023, les corvidés représentaient 83 % des exploitations déclarant subir des dégâts et le pigeon ramier 57 % [4].

Figure 1 : Dégâts de picorage des feuilles provoquées par des colombidés sur plant

Figure 2 : Dégâts d'arrachage des plants provoqués par les corvidés

Aujourd'hui, les agriculteurs disposent de différents moyens de lutte contre ces deux familles d'oiseaux. Ces moyens se classent en deux grandes catégories d'effaroucheurs : acoustiques ou visuels, certains pouvant combiner les deux méthodes. Les systèmes acoustiques principalement utilisés sont les canons à gaz munis de système de temporisation et les haut-parleurs qui diffusent des cris de prédateurs ou de détresses. Ces systèmes sont couplés à des systèmes de programmation pour limiter les phénomènes d'accoutumance mais également respecter la réglementation. Dans la catégorie des effaroucheurs visuels se trouvent les systèmes d'épouvantail (Figure 3) et les cerfs-volants en forme de rapace. Les agriculteurs déploient également un certain nombre de systèmes « faits maison » pour limiter les dégâts. Cependant leur efficacité est partielle. De plus, il est mentionné des phénomènes d'accoutumance, une efficacité aléatoire ainsi que des contraintes pour l'exploitant et pour le voisinage des parcelles touchées [5]. Plus récemment de nouveaux systèmes dits autonomes sont apparus sur le marché : les robots et les drones effaroucheurs.

Figure 3 : Effaroucheur de type mannequin gonflable

En novembre 2022, un colloque intitulé « Dégâts d'oiseaux aux cultures : quelles solutions ? » a été organisé par l'institut technique Terres Inovia et a réuni des intervenants européens pour discuter des dégâts causés par les corvidés et colombidés sur les cultures [6]. Il a été souligné les pertes financières importantes pour les cultures de tournesol et de maïs, estimées à plusieurs dizaines de millions d'euros. Même s'il n'existe toujours pas de solutions efficaces, la mutualisation des efforts et des déclarations est essentielle pour progresser. Quatre thématiques ont été abordées lors de cette rencontre : l'état des lieux des oiseaux dans les espaces agricoles ; les défis méthodologiques et les résultats des solutions agronomiques au champ ; les recherches en écologie et en éthologie appliquées au contexte agricole et les perspectives avec les innovations numériques, les approches écologiques et paysagères.

Pour les solutions agronomiques à l'échelle de la parcelle, trois méthodologies sont mises en avant : repousser, perturber et cantonner. Repousser à l'aide de matériels d'effarouchement ou par l'utilisation de molécules répulsives. Perturber en cherchant des phénomènes de confusion chez les oiseaux, avec par exemple la plantation ou le semis dans un couvert. Cantonner en développant la dissuasion par l'utilisation de l'agrainage.

Deux de ces méthodes ont été testées sur la station régionale Terre d'Essais : l'utilisation d'un robot autonome effaroucheur pour perturber le comportement des oiseaux et des tests d'agrainage en culture de chou-fleur et brocoli.

Un robot autonome en évaluation

Développé pour scanner les parcelles à l'aide de capteurs, le robot SentiV de la start-up Meropy a la capacité de se déplacer de façon autonome dans une parcelle à l'aide d'un GPS embarqué en ne dépassant pas les contours de celle-ci. Le robot est équipé de mini-pieds sur des roues circulaires et a la capacité de limiter les dégâts lors de son passage sur les cultures. En détournant son usage, il apparaît possible d'évaluer le robot comme effaroucheur autonome pour les plantations de brocoli et de chou-fleur qui sont fortement impactées par les dégâts d'oiseaux. Non bruyant, il permet également de s'affranchir des problématiques de la zone riveraine où se trouvent les parcelles de la station.

Contactés, les fondateurs de Meropy, Guillemin Raymond et William Guitton, ont trouvé l'opportunité intéressante d'un nouvel usage à leur prototype dont ce n'est pas la vocation première. Après discussions et visite des parcelles d'essais en lien avec nos contraintes d'implantation, un partenariat est mis en place en 2022 sur les volets matériels et logiciels. En effet pour les besoins de l'essai, le robot doit être dépouillé de ces éléments de détection embarqués pour ne garder que le GPS. Ainsi il peut se déplacer seul dans les parcelles à partir d'une cartographie implémentée.

Côté logiciel et commande du robot, les équipes de Meropy ont développé un module de commande spécifique pour un usage de type effaroucheur. Pour limiter le phénomène d'accoutumance auprès des oiseaux, des temps d'activité et d'inactivité du robot sont choisis aléatoirement. Il n'est pas encore possible de choisir l'heure de démarrage et de fin d'une tâche, mais pour évaluer l'efficacité du robot il fallait définir une preuve de concept. D'autres options devaient être développées ensuite. Le robot est donc capable de se déplacer de façon aléatoire dans le périmètre d'une parcelle, en alternant des phases actives pour joindre deux points GPS et des phases de repos.

Les premiers arpentages ont lieu en 2023, avec des ajustements et quelques modifications matérielles. Prévus sur les plantations de chou, les premiers essais ont démarré à la fin de l'été (Figure 4). Cependant malgré toute l'implication des équipes de Meropy, il n'a pas été possible de relancer le robot dans les temps. Fin 2023, la start-up a malheureusement cessé son activité. La technologie de base sur la détection assistée par robot a été reprise par une entreprise mais pour la dépollution pyrotechnique. Cette fin de collaboration n'a pu permettre de poursuivre les essais de déprédation. Nous espérons pouvoir trouver de nouveaux partenaires sur ce sujet.

Figure 4 : Robot SentiV en essai sur la station de Terre d'Essais

Essai d'agrainage pour protéger les brocolis

En 2024, un essai d'agrainage est mis en place sur une culture de brocoli. L'agrainage consiste à fournir une alimentation de diversion dans le cas d'une déprédation des cultures. Durant la période à risque pour les plants de brocoli, cette technique vise à épandre des graines de féveroles à la dose de 20 graines au m² sur une parcelle plantée le 15 mai afin de détourner le comportement de destruction des jeunes feuilles par les colombidés. Cette parcelle est comparée à une parcelle témoin sans protection. L'agrainage est renouvelé si les graines de féveroles ne sont plus visibles au sol. Dans cet essai, quatre agrainages sont réalisés avant la fin de l'essai faute de résultat.

Pour mesurer l'effet de l'agrainage, toutes les semaines, 100 plantes reparties sur 10 placettes composées de 10 plantes sont notées. L'état de chaque plante est relevé : arraché, mangé ou intact. À compter du 21 mai, 99 % des plants de la parcelle témoin sont considérés comme « mangés » (Figure 5) contre 64 % pour la parcelle agrainage. Dès le 27 mai, il n'existe plus aucune différence entre les modalités. Les pourcentages de plants présentant des dégâts sont très importants dans les deux modalités (Figure 6). À terme, cela engendre des retards de croissance qui ne sont pas viables pour un producteur. De plus, un déploiement de cette technique pourrait se traduire par une augmentation des populations d'oiseaux.

Figure 5 : Plant de brocoli présentant des dégâts de colombidés sur jeunes feuilles de type « mangé »

Figure 6: Proportion de plants mangés et de plants intacts en fonction des conditions d'agrainage de la parcelle

Pour conclure

En production légumière, la gestion des oiseaux à l'échelle de la parcelle reste complexe. Les résultats sont mitigés. L'effarouchement se heurte, dans certains cas, à des problèmes de voisinage et à des phénomènes d'accoutumance. Les essais au champ doivent se poursuivre en intégrant la combinaison de leviers disponibles et en évaluant les innovations numériques comme la détection intelligente au champ. Cela permettra de développer un effarouchement seulement réactif à la présence des oiseaux. Cependant cette problématique doit être abordée à l'échelle du territoire, car les oiseaux sont des ravageurs avec une forte capacité de dispersion et d'adaptation, surtout les espèces généralistes qui s'attaquent aux cultures. Il faut comprendre les dynamiques démographiques et caractériser au mieux le comportement alimentaire de ces espèces.

Les données clés à retenir

Déprédation des cultures légumières par les oiseaux : défis et solutions innovantes pour les agriculteurs - Quelles méthodes déployer pour limiter les pertes au champ

La déprédation des cultures par les colombidés et les corvidés entraîne des pertes économiques significatives. Les méthodes actuelles de lutte comprennent des effaroucheurs acoustiques (canons à gaz, haut-parleurs) et visuels (ballons épouvantail, cerfs-volants), complétées par des innovations telles que les robots et drones. Des essais d'agrainage et l'utilisation d'un robot effaroucheur ont été évalués sans pouvoir conclure sur leur efficacité. Combiner ces techniques et poursuivre leur évaluation est essentiel pour limiter les dégâts. Les solutions numériques pourraient renforcer leur efficacité, mais des études à l'échelle territoriale, plutôt qu'à celle des parcelles, sont nécessaires pour mieux comprendre le comportement et les dynamiques de ces espèces.

Key points

Bird damage to vegetable crops: challenges and innovative solutions for farmers - What methods can be deployed to limit losses in the field?

Crop depredation by pigeons and corvids causes significant economic losses. Current control methods include acoustic scarecrows (gas canons, loudspeakers) and visual scarecrows (scarecrow balloons, kites), complemented by innovations such as robots and drones. Trials of scattering grain and the use of mobile acoustic scarecrows have been evaluated, without being able to conclude on their effectiveness. Combining these techniques and continuing their evaluation is essential to limit damage. Digital solutions could enhance their effectiveness, but studies on a regional scale, rather than that of individual plots, are needed to better understand the behaviour and dynamics of these bird species.

Bibliographie / Sitographie

[1] C. Mandard, « Les oiseaux déprédateurs en grandes cultures | Ecophytopic ». Consulté le: 13 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://ecophytopic.fr/pic/prevenir/les-oiseaux-depredateurs-en-grandes-cultures

[2] V. Estorgues et J. P. Stien, « Chou-fleur enquête agronomique : impacts des gros ravageurs sur les exploitations légumières », Aujourdhui Demain, no 126, p. 23-27, févr. 2016.

[3] « Quel impact des gros ravageurs sur les productions végétales en agriculture biologique et conventionnelle ? » Consulté le: 13 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://bretagne.chambres-agriculture.fr/mes-actus/toutes-les-actus-agricoles-bretonnes/detail-de-lactualite/actualites/quel-impact-des-gros-ravageurs-sur-les-productions-vegetales-en-agriculture-biologique-et-convention/

[4] V. Estorgues et P. Quideau, « Impacts des vertébrés déprédateurs des cultures dans le Nord-Finistère », Phytoma, no 777, p. 22-25, oct. 2024.

[5] « Les oiseaux, véritable fléau ? | Anjou agricole ». Consulté le: 13 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://www.anjou-agricole.com/les-oiseaux-veritable-fleau

[6] « Dégâts d'oiseaux aux cultures : quelles solutions ? - Terres Inovia ». Consulté le: 13 janvier 2025. [En ligne]. Disponible sur: https://www.terresinovia.fr/-/degats-d-oiseaux-aux-cultures-quelles-solutions