Des dendromètres pour des stratégies d'irrigation optimisées et économes

Gestion de l'irrigation en arboriculture

Des dendromètres pour des stratégies d'irrigation optimisées et économes
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Le projet DENVER a évalué l'intérêt des dendromètres pour piloter l'irrigation en verger. Sur quatre sites d'essai avec quatre espèces fruitières étudiées, les résultats tendent à montrer l'intérêt de la méthode pour mieux comprendre le fonctionnement des arbres dans leur milieu et améliorer l'efficience des stratégies d'irrigation.

Publié le 01/03/2025

Temps de lecture estimé : 15 minutes

La gestion de l'eau en arboriculture, un enjeu de premier ordre

L'augmentation des températures en lien avec le changement climatique engendre des hausses importantes d'évapotranspiration. Les sécheresses s'intensifient et les phénomènes de stress hydrique des cultures augmentent. De manière générale, en arboriculture, un stress hydrique important et mal positionné dans le cycle de l'arbre, c'est-à-dire sur des stades de développement cellulaire ou d'expansion des fruits, peut engendrer de graves problèmes de croissance végétative, des pertes de production l'année en cours, mais aussi les années suivantes. L'association du stress hydrique à des épisodes de canicules intenses peut aussi provoquer des brûlures des organes extérieurs et des phénomènes de cavitation dans les tissus internes qui peuvent conduire à des mortalités.

Les systèmes arboricoles français sont aujourd'hui majoritairement irrigués et consommateurs d'eau dans les périodes printanières mais surtout estivales [1]. Dans ce contexte, sans changer de pratiques, les besoins en eau des cultures et donc l'irrigation sont amenés à augmenter, avec le risque de provoquer une hausse des conflits d'usage liés à cette ressource. L'irrigation en arboriculture est devenue un enjeu de premier plan. Désormais, il est crucial pour les filières d'acquérir la capacité de conduire et de maîtriser les cultures en conditions asséchantes et/ou de restriction d'accès à l'eau. L'objectif final est de maîtriser des stratégies d'irrigation à la fois efficaces et précises. Cela implique de limiter les apports d'eau tout en les positionnant de manière optimale. Ainsi, il devient possible d'assurer, sur le long terme, la rentabilité et la durabilité des exploitations.

La dendrométrie est une technologie qui semble être un excellent outil de compréhension des interactions entre l'arbre, le sol et l'atmosphère et ainsi améliorer la gestion de l'irrigation du verger [2,3]. Des travaux préliminaires de recherche dans les régions méditerranéennes ont démontré l'intérêt d'intégrer ces outils dans le pilotage de l'irrigation en verger. Cette approche permet d'optimiser les apports d'eau et/ou de réaliser des économies. [4,5]. L'utilisation des dendromètres est complémentaire de l'évaluation de l'eau disponible dans le sol qui peut être réalisée avec des tensiomètres et des sondes capacitives car ces outils donnent des indications pertinentes sur l'état physiologique et le besoin réel des arbres. Ainsi, il est plus facile d'apprécier la disponibilité en eau sur l'ensemble du volume de sol colonisé par l'arbre. Ce suivi physiologique par les dendromètres intègre en effet de possibles très fortes variabilités locales, peu appréhendables par un suivi du sol sur quelques points de mesure.

La bonne connaissance de l'état du sol et de l'arbre est un préalable indispensable au développement de techniques d'irrigation plus économes voire restrictives. Les techniques d'irrigation dites « déficitaires », basées sur des restrictions d'apports, sont recommandées par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture [6]. Elles supposent des restrictions, soit à partir d'un pourcentage de l'évapotranspiration tout au long de la saison, soit à certaines périodes de l'année, peu déterminantes sur la capacité de l'arbre à produire des fruits en quantité et en qualité [7,8]. En arboriculture, la littérature scientifique rapporte de nombreux travaux majoritairement réalisés dans les zones méditerranéennes déjà fortement soumises aux épisodes de chaleur et de sécheresse telles que l'Espagne, le Maghreb et Israël sur agrumes, fruits à noyau et fruits à pépins. Ces stratégies d'irrigation restrictives de manière contrôlée sont vues comme des stratégies d'irrigation efficientes [9]. Mais elles ne sont aujourd'hui que peu répandues dans le verger français.

De 2021 à 2023, le projet DENVER pour « des DENdromètres en Verger pour mieux gérer l'Eau face au Réchauffement climatique » a expérimenté de nouveaux modes de gestion de l'eau en arboriculture en région Auvergne-Rhône-Alpes. Ce projet est porté par le CTIFL qui a pour partenaires la SEFRA, la SENuRA, le verger de Poisy, la chambre d'agriculture de l'Ardèche et l'INRAE UMR PIAF. Il est financé par le programme « PEPIT'EAU » AURA et cofinancé par l'Agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse. Les dendromètres sont intégrés sur quatre sites d'essai comme outil de pilotage de l'irrigation en vergers de pêchers, de pommiers, de noyers et de châtaigniers. Ainsi, des stratégies de conduite plus économes en eau sont mises en place sur les quatre sites. Ces stratégies sont définies soit par la diminution ou l'arrêt des surirrigations, soit par la baisse des apports (stratégie restrictive), en identifiant les périodes climatiques ou physiologiques favorables à ces restrictions.

Le dendromètre, un outil de précision pour détecter les stress physiologiques

Un dendromètre est un instrument qui mesure les variations de diamètre d'un tronc ou d'une branche (Figure 1). Chaque jour, il enregistre en continu les mesures très précises de ces variations, au micron. Dans la journée, le diamètre diminue principalement à cause de l'utilisation des réserves en eau des tissus corticaux pour répondre à la transpiration foliaire.

Figure 1 : ePepiPIAF, dendromètre de précision utilisé dans le projet DENVER

À partir de la fin de journée, la croissance provoquée par la photosynthèse et couplée à la recharge des réserves hydriques regonfle le diamètre de l'arbre (Figure 2). Les données acquises permettent de calculer l'amplitude de contraction diurne et la croissance apparente sur 24 heures. Grâce au dendromètre, il est possible de caractériser le statut hydrique de l'arbre et d'apprécier précisément les conséquences des périodes de rationnement d'eau ou de sévères contraintes hydriques en lien avec les réserves hydriques du sol et la demande climatique. La vitalité, la croissance et la réponse de l'arbre aux contraintes de l'environnement se suivent en temps réel.

Figure 2 : Coupe transversale du même segment de tige sur l'espèce Épicéa (a = frais, b = sec)

Grâce aux indicateurs d'amplitude de contraction diurne et de croissance journalière apparente, les apports d'eau peuvent être modulés a priori : si les amplitudes de contraction sont modérées et la croissance du végétal bonne, alors un apport d'irrigation prévu peut, par exemple, être réduit voire supprimé (Figure 3). Ces indicateurs sont également observés a posteriori d'une stratégie de réduction, pour vérifier si les arbres ont subi un stress ou non. Selon les résultats, la stratégie d'irrigation est alors adaptée pour l'année suivante.

Figure 3 : Variation de diamètre capté par un dendromètre sur un pêcher en juillet 2022

En pêcher, des économies d'eau compatibles avec de bons résultats agronomiques et économiques

Durant les trois années de suivi sur le site de la SEFRA, les restrictions réalisées grâce au pilotage de l'irrigation par les dendromètres ont réduit les apports d'eau de 25 % en 2021, de 22 % en 2022 et de 31 % en 2023. Les conditions météorologiques ont fortement varié entre les trois années ce qui induit des apports d'irrigation variables qui ont permis une économie de 340 m3/ha en 2021, de 540 m3/ha en 2022 et de 807 m3/ha en 2023 (Figure 4).

Figure 4 : Apports d'irrigation sur la parcelle d'essai pêcher pour les 3 années d'expérimentation

Chaque année, le bilan hydrique est calculé pour les deux modalités d'essai (Figure 5) : il correspond au rapport entre les apports d'eau d'irrigation et de pluie et les pertes d'eau par évapotranspiration. Dans le cadre d'une irrigation normale, le résultat du bilan hydrique attendu en fin de saison doit être égal au minimum à 100 %. Cela revient à compenser complètement les pertes d'eau par évapotranspiration par les précipitations et les apports d'irrigation, pour éviter de placer le verger en situation de stress hydrique.

Figure 5 : Bilan de la gestion de l'eau sur le site d'expérimentation pêcher à la SEFRA

En 2021, les précipitations sont fréquentes et intenses, les apports d'irrigation sur le verger sont donc modérés avec 135 mm dans la modalité témoin. En réduisant l'irrigation de 25 % dans la modalité restriction, le bilan hydrique est resté supérieur à 100 %. En 2022, année très sèche avec de très hauts niveaux d'évapotranspiration, les apports d'eau d'irrigation beaucoup plus importants n'ont pas permis de couvrir le bilan hydrique. Contrairement à 2021, il aurait fallu apporter encore plus d'eau cette année-là. En 2023, les résultats de bilan hydrique sont à un niveau estimé correct (proche de 100 %) pour la modalité témoin. Du point de vue du bilan hydrique, seule l'année 2022 reste insatisfaisante, car les besoins en eau du verger n'ont pas été couverts à cause du caractère extrême de la météo, et cela pour les deux modalités d'essai.

La figure 6 synthétise les résultats technico-économiques sur l'ensemble de l'essai. Elle compare les performances de la modalité restriction à la modalité témoin dont l'irrigation est sans restriction. Globalement, les restrictions d'irrigation n'ont pas modifié la qualité des récoltes, si ce n'est améliorer très légèrement la jutosité. Les rendements de production sont variables entre les modalités selon les années.

Figure 6 : Synthèse pluriannuelle des résultats agronomiques et technico-économiques sur pêcher

En 2021, le gel tardif d'avril a détruit l'ensemble de la récolte, les résultats de production présentés concernent la moyenne des années 2022, 2023 et 2024. En 2022, une restriction a exceptionnellement été positionnée en pré-récolte au moment du durcissement du noyau. Cette restriction est à l'origine d'une perte significative de calibre A et +, soit les calibres les mieux valorisés économiquement. Aucune perte de rendement n'est à relever les années suivantes. En 2024, la tendance est même plutôt en faveur d'un meilleur rendement dans la modalité restriction. La vigueur des arbres n'est pas dégradée par les restrictions tout au long de l'expérimentation. Une tendance - statistiquement non significative - est même plutôt favorable à la modalité restriction concernant la vigueur des rameaux en saison, ainsi que le retour à fleur en année N+1. Dans cette modalité restriction, la formation de rameaux anticipés a diminué ce qui a allégé le travail de taille hivernale (données non présentées). Grâce au pilotage par dendromètres, les économies d'eau réalisées sont de 22 à 31 % sur le site de la SEFRA. Lorsque ces restrictions sont positionnées en post-récolte de juillet à septembre, aucune diminution du potentiel de rendement n'est observée.

En pommier, des restrictions fortes et des rendements maîtrisés

Sur le site de Poisy, en 2021, aucune irrigation n'est appliquée sur l'ensemble de la parcelle de pommiers, la pluviométrie ayant été très importante. Cette année a donc servi de référence pour observer, via les dendromètres, les différents phénomènes de variation de diamètre en fonction des conditions climatiques. En 2022, trois irrigations d'un apport entre 23 et 33 mm sont réalisées sur la modalité témoin. En 2023, ce sont quatre irrigations similaires qui sont apportées. Les quantités d'eau apportées sont réduites de 48 à 49 % sur la modalité restriction (Figure 7).

Figure 7 : Irrigation des modalités d'essai du site du verger de Poisy sur pommier

En 2022, les irrigations sont uniquement pilotées par les tensiomètres. Les dendromètres sont régulièrement lus pour observer les effets de la climatologie et des irrigations. Cette année de forte sécheresse a montré des périodes de décroissance sur certains arbres, dont l'intensité s'est accrue sur la modalité restriction, indiquant un stress hydrique plus important. Aucune différence notable d'amplitude de contraction n'est observée entre les deux modalités. D'après les observations sur le site, ce sont surtout les précipitations associées à des baisses de températures qui influencent cet indicateur.

2023 est la première année de réel pilotage avec les dendromètres. Les irrigations sont mises en place lorsque des phases d'arrêt de croissance sont observées sur plusieurs jours et sont associées à de fortes amplitudes de contraction. Cette année-là, c'est encore l'indicateur de croissance journalière qui paraît apporter le plus d'informations. Dans la modalité témoin, des reprises de croissance sont observées pendant plusieurs jours après une irrigation. Dans la modalité restriction, l'irrigation permet seulement de ne pas atteindre la décroissance des rameaux ou de revenir à une croissance nulle à la suite d'un début de décroissance. Là encore, peu de réponses visibles sont observées sur l'indicateur d'amplitude de contraction, quelle que soit la modalité.

Aussi, la comparaison entre les amplitudes maximales observées en hiver et celles observées en été s'avère intéressante. Les niveaux d'amplitude de contraction réversibles qui ont lieu en hiver et sont liés aux phénomènes de gel, peuvent être considérés comme une très forte contrainte que peut atteindre l'arbre sans endommager sa physiologie. En 2022, sur la modalité restriction, les amplitudes estivales ont parfois atteint le niveau des amplitudes hivernales (données non présentées). Cela est une indication de la très forte contrainte édaphique de l'arbre face aux conditions climatiques extrêmes de l'été 2022. En 2023, les amplitudes estivales restent toutes bien inférieures aux amplitudes hivernales quelle que soit la modalité. Les arbres ont donc moins souffert qu'en 2022, que ce soit avec ou sans restriction hydrique.

En ce qui concerne les résultats agronomiques, aucune différence de croissance des fruits ni de cinétique de chute des fruits, de la nouaison à la chute physiologique, n'est observée entre les deux modalités en 2022 et 2023. Sur une variété à gros calibre comme Idared, aucun impact négatif de la diminution de l'irrigation n'est constaté sur le rendement. Au contraire, la restriction a permis de diminuer la proportion des fruits de trop gros calibres ( 90) et de mieux valoriser la récolte en 2022 (Figure 8). Les résultats sont d'autant plus intéressants que 2022 et 2023 sont marquées par des sécheresses et des canicules importantes et qu'il s'agit d'un effet cumulatif de restriction sur deux années. Ces années ont permis la familiarisation avec les données fournies par les dendromètres. Les deux indicateurs que sont la croissance journalière et l'amplitude maximale de contraction (Figure 8) apparaissent comme des indicateurs essentiels pour piloter l'irrigation. L'objectif initial était de réduire de 50 % les quantités d'eau apportées, il est atteint dans cet essai.

Figure 8 : Niveaux de rendement sur la parcelle d'essai Idared (pommier) à Poisy

Les données dendrométriques se sont révélées aussi intéressantes à suivre lors d'épisodes de gel (données non présentées). Elles permettent d'indiquer la réponse physiologique des arbres à ce stress thermique gélif (dans notre cas sans dommage, car entièrement réversible), et donc des conséquences potentielles sur le développement du verger.

En noyer, un apprentissage du dendromètre à approfondir

Sur le site de la SENuRA, seule la parcelle L1 avec la variété Franquette a permis d'obtenir des courbes dendrométriques typiques du noyer en 2023. Cela n'est pas observé en 2021 et 2022. Les courbes présentent trois étapes successives : un réveil végétatif, une croissance active de l'arbre suivi d'une phase stationnaire qui correspond au remplissage des fruits. Cette observation s'explique par une réduction de la densification opérée dans le verger durant l'hiver 2022-2023 en supprimant un arbre sur deux, passant ainsi de plus 150 arbres/ha à moins de 80 arbres/ha. Cette restructuration a autorisé l'entrée de lumière dans le verger, permettant ainsi aux arbres restants de retrouver une dynamique de croissance pour coloniser le nouvel espace à leur disposition.

Sur la parcelle U, en 2021, aucune différenciation d'irrigation n'est appliquée sur les deux modalités, cette année servant de référence. En 2023, les conditions asséchantes et chaudes, associées à des arrêtés sécheresse sur le territoire, ont empêché de mettre en place une restriction d'irrigation sur la modalité M2 restriction, afin d'éviter des pertes de récolte, voire d'arbres. Ainsi, seule une restriction d'irrigation de 13 % en volume est effectuée en 2022 sur cette modalité M2 (Figure 9). Les dendromètres positionnés sur des branches en bas de la frondaison, dans un verger dense de plus de 300 arbres/ha, n'ont pas fourni de données exploitables car aucune croissance n'est observée sur les deux modalités. Il est ainsi risqué de tirer des conclusions concrètes de cet essai, hormis sur le positionnement des dendromètres qui sont à placer plus haut dans la canopée ou sur le fonctionnement physiologique de branches complètement ombrées, qui semble différent des branches plus exposées à la lumière.

Figure 9 : Irrigation des modalités d'essai de la parcelle U - Lara de la SENuRA

D'une manière générale, pendant la durée de l'essai, année après année, la production présente une tendance à la baisse avec une diminution des rendements entre 2021 et 2022 de 41 % pour la modalité témoin et de 18 % pour la modalité restriction (Figure 10). Le phénomène se poursuit en 2023, autour de -27 % pour les deux modalités entre 2022 et 2023. En 2023, la modalité M2 restriction a un rendement supérieur à la modalité témoin, avec une différence de +0,47 t/ha. La faible restriction d'eau créée en 2022 sur la modalité restriction ne semble pas avoir affecté le potentiel de production des arbres. La différence de rendement entre les deux modalités est probablement plus à relier à la différence de sol, plus filtrant sur la modalité témoin et ne retenant potentiellement pas autant d'eau qu'un sol plus argileux. Concernant la qualité des noix, peu de différence entre les modalités est à retenir, avec des niveaux de calibres et des taux de flétrissement équivalents. Seule la qualité des cerneaux s'est avérée meilleure dans la modalité témoin, mais uniquement en 2022.

Figure 10 : Niveaux de rendement sur la parcelle U - Lara à la SENuRA

L'utilisation des dendromètres semble encore délicate pour le pilotage effectif des irrigations en noyeraie. Le positionnement des outils en verger adulte de noyers est complexe. Or, un mauvais positionnement génère des difficultés d'analyse et d'interprétation des données. Le développement de logiciel de visualisation en temps réel des valeurs ainsi que le calcul automatisé des indicateurs d'amplitude de croissance et de croissance journalière sont essentiels pour une utilisation facilitée au quotidien de ces outils sur cette espèce.

En châtaignier, le dendromètre est un outil intéressant

Sur le site d'essai de Lamastre en Ardèche, comme sur tous les sites d'essai, les trois années de suivi sont climatiquement contrastées. En 2021, un été relativement frais et pluvieux est associé à des croissances continues des arbres jusqu'à fin août/mi-septembre. Ces conditions météorologiques estivales n'ont engendré aucun stress hydrique notable sur la châtaigneraie. En 2022 et 2023 avec des épisodes de canicules et de sécheresses estivales, des arrêts de croissance plus tôt dans la saison sont observés. Les indicateurs de croissance journalière des charpentes et les amplitudes de contraction journalières semblent fortement répondre à l'augmentation des températures qui ont lieu en juin, juillet et août (températures supérieures à 25 °C). En effet, une stagnation voire une baisse de la croissance apparente journalière est observée sur certains arbres, et accompagnée d'une augmentation de l'amplitude de contraction journalière. En été, les périodes de baisse de température sont associées à une dynamique de croissance journalière plus positive.

Lorsque les données dendrométriques montrent des stress apparents sur les arbres avec une décroissance des diamètres des branches et une forte amplitude de contraction, les arrosages ou pluies d'au moins 25 mm provoquent une reprise importante de croissance et une diminution des amplitudes de contraction (Figure 11). L'impact peut être visible sur une quinzaine de jours ce qui n'est pas le cas pour les pluies faibles de seulement 10 mm. Dans des situations où les dendromètres ne montrent aucun signe de stress des arbres, les pluies ou arrosages ne provoquent aucune modification physiologique visible. En fin d'été, après avoir subi des périodes de sécheresse et de chaleur, les effets des arrosages ou des précipitations de moins de 10 mm semblent plus marqués, avec des reprises de croissance plus importantes que lors d'arrosages de 10 mm en début d'été, mais l'effet reste de courte durée.

Figure 11 : Données dendrométriques sur châtaigniers en 2022 et bilan hydrique journalier

Les dendromètres ont donc permis de détecter finement la réaction des châtaigniers lors des apports d'eau. La stratégie de restriction a simplement consisté à retarder les apports d'eau en saison et permis des économies. Ces résultats incitent, lorsque des irrigations sont prévues en châtaigneraie en été, à privilégier des apports à volumes plus importants et moins fréquents soit 1 à 2 apports dans la saison seulement, de l'ordre de 25 mm par apport, ciblés sur les périodes détectées de stress importants. Sinon le bénéfice de l'irrigation pourrait être trop peu marqué et donc moins pertinent quand le volume d'eau disponible est faible (Figure 12).

Figure 12 : Irrigation des modalités d'essai en châtaigneraie

L'enjeu inhérent, le déploiement de ces nouvelles méthodes

Les dendromètres mesurent et enregistrent des données très précises de variations de diamètre des branches en temps réel. Ces données alimentent le calcul d'indicateurs que sont l'amplitude de contraction journalière et la croissance journalière, qui sont très pertinents et robustes pour caractériser en temps réel un stress hydrique en verger ou, plus globalement, comprendre le fonctionnement de l'arbre, quelle que soit l'espèce. L'utilisation d'un dendromètre demande l'acquisition d'une expertise pour la mise en place et l'interprétation des données. Mais l'expérience du projet DENVER montre que son utilisation paraît indispensable quand il est envisagé de monitorer des stratégies d'irrigation économes voire restrictives, ou ne serait-ce que détecter des situations de verger en stress ou en surirrigation.

Mais la réussite de stratégies efficientes d'irrigation, c'est-à-dire qui réduisent significativement les apports d'eau sans modifier la performance du verger, dépend de paramètres supplémentaires. En premier lieu, les marges de manoeuvre sont différentes selon les conditions climatiques de l'année et les niveaux d'évapotranspiration en saison. Dans les années de très fortes sécheresses, les résultats ont montré que les restrictions d'eau possibles ne semblent que limitées s'il faut maintenir le statut physiologique de l'arbre et les niveaux de production attendus. Au contraire, des années avec des contextes hydriques plus favorables sont plus propices à permettre des économies plus significatives d'eau. Aussi, tout dépend des pratiques de chaque exploitation en regard de leur bilan hydrique annuel selon les cultures.

Cette expérimentation innovante est poursuivie à travers plusieurs dynamiques de projets en cours de dépôt (« Brav'Eau », « EvaTerrEau »). Les travaux ont pour objectif de consolider les résultats des expérimentations avec les dendromètres, de mieux connaître les besoins des cultures, de repréciser leurs coefficients culturaux et d'intégrer des outils de modélisation pour mieux détecter les stress (télédétection) pour les différentes cultures. Un autre objectif majeur est de pouvoir d'ores et déjà transférer les compétences acquises dans le cadre du projet DENVER, mais cela semble soumis à deux conditions. Un travail de formation et de montée en compétences et d'acquisition de référence en situation réelle est à effectuer avec les acteurs techniques de la gestion de l'eau en arboriculture qui sont les conseillers des chambres, les organisations de producteurs, etc. L'objectif est d'accompagner techniquement le maximum d'arboriculteurs qui souhaiteraient travailler sur les stratégies d'irrigation et éventuellement s'équiper de dendromètres. Ensuite, la problématique du coût et de l'accessibilité du dendromètre est une question à traiter. Ce matériel n'est encore que très peu intégré dans les solutions commerciales des fournisseurs potentiels de matériel d'irrigation ou de capteurs et sondes à destination du monde agricole. Leur déploiement est pourtant à encourager, pour que les pratiques puissent évoluer et que les exploitations en arboriculture puissent s'adapter aux effets du changement climatique.

Site de la SEFRA-CTIFL, parcelle de pêchers

L'expérimentation est conduite de 2021 à 2023 sur une parcelle de pêchers de la variété Pamela, une pêche précoce, conduite avec une irrigation en microjets pendulaires. La modalité restriction consiste à effectuer des restrictions d'irrigation sur la base des données fournies par les dendromètres. Dans la modalité témoin, l'irrigation est conduite de manière classique, en fonction des relevés des paires de tensiomètres placées à 30 et à 60 cm de profondeur et de calculs hebdomadaires de bilan hydrique. Les restrictions sont essentiellement positionnées en phase de post-récolte, excepté en 2022 durant laquelle une restriction est expérimentée pendant la période de durcissement du noyau. Une restriction consiste à supprimer totalement un des deux apports d'irrigation hebdomadaire. Pendant les phases de multiplication cellulaire (floraison, nouaison, développement des petits fruits), et de maturité, aucune restriction n'est expérimentée. Les rendements, calibres et qualité sont les principaux paramètres de récolte suivis pour l'essai (Figure A).

Figure A : Site de la SEFRA-CTIFL, parcelle de pêchers

Site du verger de Poisy, parcelle de pommiers

L'essai est mené sur une parcelle de pommiers Idared, une variété à maturité tardive (Golden +20 jours) et à gros calibre. Sur cette parcelle, l'irrigation se fait par micro-aspersion sous frondaison sur le rang. Des compteurs sont mis en place sur chaque ligne. Chaque ligne est équipée de trois dendromètres et de trois paires de tensiomètres installés à 30 et 60 cm de profondeur. L'essai a consisté à réduire de moitié les quantités d'eau apportées sur la modalité restriction. Le nombre d'arrosages est identique pour les deux rangs. L'arrosage se fait en journée pour la gestion du volume apporté. Les irrigations sont faites les mêmes jours pour les deux modalités afin de ne pas avoir de biais des conditions climatiques sur l'interprétation des résultats et des courbes fournies par les sondes et capteurs. Le pilotage est fait sur une moyenne des six dendromètres, en prenant en compte les arbres les plus contraints. La période de restriction s'est étalée de juin à août pendant la période de grossissement du fruit. Les rendements et calibres sont les principaux paramètres de récolte suivis pour l'essai (Figure B).

Figure B : Site du verger de Poisy, parcelle de pommiers

Site de la SENuRA, parcelle de noyers (Parcelle U)

Deux parcelles de noyers sont équipées de dendromètres : la parcelle « L1 » avec la variété Franquette pour acquérir des références en variété traditionnelle et la parcelle « U » avec la variété Lara, sensible au stress hydrique. La parcelle U est le support de l'expérimentation et comprend deux modalités : la modalité témoin M1 avec une gestion traditionnelle de l'irrigation c'est-à-dire une irrigation de 25 à 30 mm par semaine par tour d'eau de 24 h et une modalité de restriction M2 avec un scénario de restriction de 25 à 30 %, simulant d'éventuelles baisses imposées de volumes d'eau. Les dendromètres sont couplés à des paires de tensiomètres installés à 30 et 60 cm de profondeur. Les rendements, calibres et qualité sont les principaux paramètres de récolte suivis pour l'essai (Figure C).

Figure C : Site de la SENuRA, parcelle de noyers (Parcelle U)

Site de la chambre d'Agriculture de l'Ardèche, parcelle de châtaigniers

Sur le site de Saint Barthélémy de Grozon, l'expérimentation est conduite sur une parcelle d'agriculteur de châtaigniers traditionnels âgés de 30 à plus de 100 ans, en zone de pente. Les suivis dendrométriques ont lieu sur six arbres d'environ 30 ans, greffés sur souche en place. Sur cette parcelle, il n'y a pas d'arrosage régulier, mais un arrosage ponctuel par aspersion en période estivale. L'expérimentation a cherché à suivre la phénologie et la croissance des arbres (en apex) en regard des données dendrométriques sur châtaignier, une espèce sur laquelle aucun recul sur la dendrométrie n'existe. L'objectif est de déterminer s'il y a une possibilité de moduler les périodes d'apport d'irrigation pour les fournir au meilleur moment et, éventuellement, les différer afin de diminuer le nombre total d'apports. La modalité témoin est arrosée en moyenne deux à trois fois dans la saison par l'agriculteur. La modalité restriction est arrosée plus tardivement que la modalité témoin, afin de déterminer le stade optimal d'apport ponctuel de l'eau, dans un volume maximal visé de 500 à 600 m3/ha. Les châtaignes sont récoltées au sol sur filets sans distinction des arbres ce qui a empêché d'obtenir des données de rendement arbre par arbre.

Figure D : Site de la chambre d'agriculture de l'Ardèche, parcelle de châtaigniers

Les données clés à retenir

Des dendromètres pour des stratégies d'irrigation optimisées et économes - Gestion de l'irrigation en arboriculture

Le projet DENVER a expérimenté des nouveaux modes de gestion de l'eau en arboriculture, via l'utilisation de dendromètres connectés de précision. Quatre sites d'essai en Auvergne-Rhône-Alpes avec quatre espèces modèles sont travaillés : le pêcher, le pommier, le noyer et le châtaignier. Les résultats démontrent l'intérêt de la dendrométrie pour toutes les espèces, en particulier grâce au suivi de la croissance journalière et de l'amplitude maximale de contraction des branches. L'utilisation de l'outil, sa mise en place et l'interprétation des données nécessitent une expertise technique à acquérir par les utilisateurs. L'outil a permis de commencer un travail sur les stratégies d'irrigation restrictives plus économes en eau. Les résultats sont globalement positifs avec, selon les sites, des économies significatives d'eau sans dégrader la production.

Key points

Dendrometers for optimised, economical irrigation strategies - Irrigation management in tree fruit production

The DENVER project has been experimenting with new ways of managing water in tree fruit production, using precision connected dendrometers. There are four trial sites in the Auvergne-Rhône-Alpes region, and four model species, peach, apple, walnut and chestnut. The results demonstrate the value of dendrometry for all species, in particular by monitoring daily growth and the maximum amplitude of branch contraction. Using the tool, setting it up and interpreting the data require users to acquire technical expertise. This tool has enabled work to begin on more water-efficient restrictive irrigation strategies. Overall, the results are positive, with significant water savings being achieved at some of the sites, without affecting production.

Bibliographie / Sitographie

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[2] Rapport Gis Fruits « Gestion des sols de vergers : panorama des outils et travaux, pistes pour la recherche », 2019

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