Un peu d'histoire
Depuis l'officialisation de la présence de Drosophila suzukii en France en 2010, cette mouche pose de sérieux problèmes aux producteurs de cerises et menace fortement la pérennité de la filière. Les niveaux de population ne cessent d'augmenter et engendrent de lourds préjudices économiques aux exploitations. L'arrivée de ce ravageur invasif a provoqué une augmentation des traitements insecticides sur les cultures de cerisiers, une espèce auparavant peu traitée. En quelques années, le nombre de passages d'insecticides sur fruit est passé d'un traitement ciblé contre Rhagoletis cerasi, la mouche de la cerise, à trois à cinq traitements. Alors que les pesticides font l'objet de recherches visant à réduire leur usage, d'autres pratiques sont étudiées pour assurer un programme intégré de lutte antiparasitaire. Des recherches à plus long terme sont en cours sur l'utilisation d'autres méthodes telles que le piégeage de masse, l'assainissement, les produits de biocontrôle, la gestion du paysage, etc. Parmi les méthodes alternatives examinées, la méthode des filets est celle qui présente les meilleurs résultats et le plus d'intérêt à l'heure actuelle. Bien que cette approche à fort investissement et forte demande en main-d'oeuvre ne soit pas la plus aisée à mettre en place dans des vergers déjà implantés, elle pourrait offrir une alternative aux pesticides pour les exploitants.
Cette barrière physique se prête davantage à une conduite palissée pour laquelle les évaluations se sont montrées prometteuses. Cependant, à l'heure actuelle, en France, les vergers sont pour la plupart conduits en gobelet. En 2017, un essai est mis en place sur l'antenne CTIFL de la Tapy (ancienne station expérimentale La Tapy). Il se penche sur la mise en place d'une couverture avec filets anti-insectes sur un verger existant en gobelet. L'objectif principal est d'évaluer la faisabilité technique tout en vérifiant son efficacité et ses éventuelles conséquences sur la production des arbres et la qualité du fruit : poids moyen du fruit et effets secondaires de maladies.
Présentation technique
L'essai est conduit sur des arbres en gobelet de deux variétés : Summit, une variété de saison récoltée dans les 10 premiers jours de juin en moyenne, et Belge, une variété tardive récoltée 7 à 10 jours après Summit. Chaque variété est plantée sur un rang complet en alternance sur l'ensemble de la parcelle. La variable étudiée est l'utilisation de filets pour protéger les cerisiers. L'essai se compose de trois modalités : un filet installé en monoparcelle, un filet en monorang et un témoin non couvert. Sur chaque rang, cinq parcelles élémentaires de 3 arbres sont identifiées pour constituer des répétitions de collecte des données. En 2017, avant la mise en place des structures, les arbres sont rognés pour réduire leur gabarit. Cette taille exceptionnelle est réalisée à la main de manière homogène sur l'ensemble des arbres du verger d'essai.
La modalité monoparcelle est constituée de 7 rangs de cerisiers sous filets (0,42 ha), dont seuls sont observés les deux rangs correspondant aux deux variétés de l'essai. La couverture choisie est mixte : une bâche plastique installée sur le faîtage qui protège les arbres de la pluie et par-dessus cette bâche des filets qui surplombent l'ensemble et retombent sur les côtés de la monoparcelle (Figure 1). Les filets sont fermés après la floraison. La maille choisie (filPack 6×6) est hermétique aux mouches. En effet, ses mailles d'une taille de 1,38 × 1,38 mm empêchent le passage de D. suzukii dont la taille oscille entre 2,6 et 3,4 mm.
La modalité monorang se compose d'un rang de cerisiers Summit et d'un rang de cerisiers Belge. Chaque rang est recouvert d'un jeu de deux filets indépendants qui sont fermés entre eux au niveau du faîtage, afin d'offrir l'accès au faîtage des arbres conduits en gobelet (Figure 2). Tous les deux arbres, trois poteaux sont installés : un poteau central entouré de deux poteaux obliques placés en V (Figure 3). Les filets sont fixés en haut des poteaux obliques puis déroulés vers le faîtage, où ils sont attachés, et vers le sol, où ils sont tenus par un tube rigide. Les fils de pente, qui permettent de rigidifier la structure en reliant les 3 poteaux, ainsi que les fils transversaux (Deltex ou fil de fer) permettent de guider le filet afin qu'il ne se prenne pas dans les branches. La partie supérieure du filet dépasse de chaque côté et est attachée à des câbles sur le dessus afin de répondre à la problématique d'étanchéité d'un tel système. Enfin, les filets latéraux sont repliables à l'aide d'un système de manivelles positionnées au centre afin d'avoir une distance d'environ 1,5 m de chaque côté du tronc. À l'installation, une vigilance particulière est portée à la prise au vent du filet, mais aussi à l'étanchéité au niveau des cardans intermédiaires de repli mécanique. Il n'a pas été nécessaire de solidifier la structure depuis sa mise en place.
Le témoin est lui aussi constitué d'un rang de cerisiers Summit et d'un rang de cerisiers Belge. Il n'est couvert ni par une bâche ni par un filet.
Quelle est l'efficacité des structures
L'essai a techniquement évolué au cours du temps. Les quatre premières années, entre 2017 et 2020, l'ensemble des modalités suit le même itinéraire de traitements phytosanitaires. À compter de 2021, le nombre de traitements phytosanitaires visant D. suzukii est réduit à un traitement unique pour les modalités sous filet. Ce traitement unique est conservé pour s'assurer de la qualité de la protection contre le ravageur. En effet, la parcelle d'essai est située contre une haie qui, associée à une humidité résiduelle élevée en saison, représente les conditions idéales pour le vol de cette mouche. Les suivis montrent une population en moyenne plus élevée que sur les autres parcelles de la station. Ainsi l'application d'un insecticide à la fermeture des filets est conservée pour « assainir » les modalités.
À l'échelle des huit années d'essai, sur le témoin non couvert, il est difficile de caractériser la stratégie phytosanitaire « type » contre D. suzukii. Cette dernière est construite en fonction des évolutions de la réglementation, en tâchant de veiller à alterner au maximum les familles chimiques disponibles. Par exemple, en 2024, du fait d'un nombre réduit de produits disposant d'une AMM sur l'usage D. suzukii, la protection s'est constituée d'une alternance de Karaté Zéon© (lambda-cyhalothrine) et d'Exirel© (cyantraniliprole).
Les résultats sont différenciés entre les deux variétés puisque la pression en D. suzukii varie au cours de la saison selon la période de récolte des fruits : en moyenne, la pression est plus importante sur la variété Summit que sur la variété Belge. En effet, les températures sont souvent plus élevées et l'humidité plus faible lors de la récolte de cette variété de saison pour laquelle les conditions sont moins favorables au vol de la mouche.
Que ce soit lors des quatre premières années d'essai ou lors des quatre suivantes, les conclusions sont identiques : les taux de dégâts imputables à D. suzukii sont faibles et statistiquement similaires sur l'ensemble des modalités testées (Figures 4 et 5). Ainsi l'essai atteste que le maintien de l'ensemble des traitements insecticides visant la mouche sous les modalités filet n'apporte pas de protection supplémentaire.
À noter que les dégâts dus à R. cerasi ont également été surveillés. Cette mouche n'est cependant pas présente sur la parcelle d'essai, les résultats ne sont donc pas présentés du fait d'un taux de dégâts trop anecdotique pour être étudié.
Impact sur les rendements et la qualité
Malgré le rognage des arbres, les rendements sont restés à des niveaux similaires aux performances du verger (Figure 6). En effet, la suppression de la partie supérieure des charpentières a permis à la lumière d'entrer au centre de la canopée des arbres. En réponse, de nouvelles branches fruitières sont reparties du centre des arbres pour équilibrer la structure et les rendements sont revenus à la hausse. L'impact de la mise au gabarit des arbres est d'autant plus faible que celle-ci a été réalisée manuellement et non au lamier. L'expertise humaine a permis une suppression réfléchie des charpentières pour adapter la structure en pénalisant le moins possible le verger. Une baisse de la quantité récoltée est observée entre 2019 et 2021 du fait d'une mauvaise mise à fruit et d'un gel prononcé sur la parcelle. En 2022, a contrario, les rendements sont très élevés mais associés à un calibre faible de 26-28 mm, moins valorisable sur le marché.
Les rendements moyens sur huit ans ne montrent aucune différence statistique entre les modalités, aussi bien sur la variété Summit que sur la variété Belge. Les valeurs varient entre 13,3 t/ha et 15,8 t/ha sur Summit et entre 12,4 t/ha et 15,2 t/ha sur Belge (Figure 7). L'installation des filets est donc sans impact sur les niveaux de production du verger. La grande variabilité des données s'explique par les conditions climatiques et l'alternance de productivité des variétés étudiées.
Pour ce qui est de la qualité des fruits, de nombreux paramètres sont observés. Ainsi, le calibre majoritaire est de 28-30 mm aussi bien sur la variété Belge que sur la variété Summit sur les huit années confondues de l'essai (Figure 8). Comme, sous les filets, la température augmente, il était initialement présumé d'y voir le nombre de fruits doubles augmenter. Dans les faits, ce défaut n'est pas apparu de manière significative sur la parcelle d'essai entre 2017 et 2024. Il faut cependant considérer le fait que les deux variétés évaluées sont peu sensibles à ce phénomène. De la même façon, la couleur dominante (selon le code couleur CTIFL) n'est pas impactée par les filets. Summit est récoltée à couleur 4 et Belge, toujours un peu plus foncée, à couleur 5. Aucun décalage dans les dates d'apparition de ces stades de coloration n'est observé. Le taux de sucre et l'acidité mesurés dans les fruits n'ont également pas montré de différence entre les trois modalités.
Le taux de fruits pourris à la récolte est la principale différence observée entre les modalités. Sur Summit comme sur Belge, le taux de monilia est plus bas sous la modalité monoparcelle. La modalité monorang se comporte comme le témoin sans filet. La différence se fait donc grâce à la bâche dont est équipée la modalité monoparcelle. Les fruits éclatés ne présentent aucune différence significative entre les modalités bien que la bâche aurait pu présenter un effet positif sur ce type de dégâts. Là encore, la faible sensibilité de ces variétés au phénomène joue dans les résultats obtenus.
Temps de travaux
Du côté des temps de travaux, en omettant la manipulation des filets, les temps de récolte ne sont pas impactés. En moyenne, 906 h/ha sont nécessaires pour l'ensemble des modalités.
La figure 9 détaille les temps d'entretien de la parcelle sur les huit années de l'essai. Si la taille et le désherbage mécanique sont peu impactés par l'installation des filets, une légère baisse des temps de traitements chimique est observable. Cette baisse reste faible puisque seuls les traitements insecticides visant D. suzukii sont réduits grâce à l'implantation des structures.
Le plus gros poste de dépense en temps concerne les filets et, sans surprise, leur manipulation. Au total, sur l'année, il faut compter entre 60 et 70 h/ha selon le type de structure pour descendre puis remonter les filets. Ces temps correspondent à l'intervention d'une équipe de 2 à 4 personnes expérimentées et équipées d'une nacelle. En condition producteur, ces temps de travaux peuvent être revus à la hausse en fonction du matériel disponible et du niveau de formation des équipes à cette tâche.
Pour conclure, l'essai montre que l'installation de filets anti-insectes peut être réalisée sur un verger de cerisiers en gobelet, sans impact sur la quantité et la qualité de la récolte. Néanmoins, ces installations ont un coût élevé. Leur mise en place sur des vergers haute densité (vergers palissés) est plus rapidement amortissable du fait d'une mise à fruit plus rapide et d'une production plus élevée à l'hectare.
Quel avenir pour la parcelle d'essai ?
L'essai se termine mais la parcelle d'essai ne sera pas abandonnée pour autant ! Dès 2025, les filets sont mis à profit pour un essai mobilisant la technique de l'insecte stérile. L'objectif est de réaliser des lâchers hebdomadaires et bihebdomadaires de D. suzukii mâles stériles sous les filets afin d'estimer leur impact sur le niveau d'infestation durant toute la durée de maturation des fruits et ce, jusqu'à la récolte. Résultats à venir.
Les données clés à retenir
Adapter des filets anti-insectes à un verger traditionnel en gobelet est une solution envisagée par les producteurs ne souhaitant pas replanter. L'essai porte sur deux variétés courantes, Belge et Summit, représentatives des principaux bassins de production. Après une taille sévère, les arbres retrouvent très rapidement leur niveau de charge habituel. La végétation et la charge fruitière se répartissent différemment, avec davantage de repercements dans le centre de l'arbre. Côté filet, l'efficacité de protection face à D. suzukii est incontestable et offre une plus grande souplesse à la récolte. En fonction des conditions météorologiques, les filets monorang et monoparcelle se différencient au niveau de la pression monilia qui est plus faible en monoparcelle avec ses bâches anti-pluie.
Key points
Protecting goblet-trained cherry trees with anti-insect nets
Review of 8 years of trials
Adapting anti-insect netting to a traditional goblet orchard is a solution considered by growers who do not wish to replant. The trial involves two common varieties, Belge and Summit, representative of the main production areas in France. After severe pruning, the trees quickly returned to their normal fruit load. Vegetation and fruit load are distributed differently, with more shoot formation in the centre of the tree. In terms of control of D. suzukii, netting is undeniably effective, offering greater harvesting flexibility. Depending on weather conditions, single-row and full-block nets differ in terms of brown rot (Monilinia) pressure, which is lower in full-block nets with rain covers.