Un enjeu de durabilité
Face à la restriction des moyens de protection chimique pour protéger les vergers de cerisiers contre Drosophila suzukii, les filets de protection se développent sur un marché en pleine croissance. Le passage à un verger sous filets est une opération coûteuse : 30 000 à 60 000 € de matériel par hectare selon la nature de la structure. La période d'amortissement est de l'ordre de cinq à dix ans, mais, selon les premières expériences conduites sur le terrain, leur durée de vie diffère en fonction du type de matériel. Le coût de production est donc impacté par cette durabilité.
Un essai mis en place sur l'antenne CTIFL de la Tapy, ex-Domaine expérimental la Tapy, vise à mesurer la durabilité économique d'une gamme de filets installés en monorang. Divers indicateurs tels que le coût d'achat, les temps de travaux et la durée de vie du matériel, permettent de calculer le coût global inhérent à l'utilisation de chaque type de filet. L'étude mesure également l'efficacité des différents filets dans le cadre de la protection contre D. suzukii. Un suivi des vols de mouches sous filet et hors filet est réalisé ainsi qu'un contrôle des dégâts sur les fruits pour chacune des modalités étudiées sachant qu'un filet correspond à une modalité. Les résultats issus des rangs couverts sont comparés à une modalité non couverte et traitée en PFI (Protection Fruitière Intégrée). L'utilisation des filets agit sur le microclimat autour des arbres et modifie leur sensibilité à certaines maladies fongiques et plus particulièrement au Monilia.
Chaque modalité présente une technologie de protection contre la pluie qui lui est propre. Ces différentes conceptions peuvent avoir un impact supplémentaire sur le microclimat en plus de modifier leur efficacité relative vis-à-vis des pourritures et de l'éclatement des fruits. La qualité des cerises sera donc également observée à la récolte.
Des filets variés en conception et en coût
Le verger sur lequel est réalisé l'essai est conduit en axe libre et est composé de deux variétés : Belge, une variété de saison, et Regina, une variété tardive. Les arbres ont été plantés à l'hiver 2011-2012 et sont greffés sur GiSelA® 6, un porte-greffe nanisant. Les arbres sont espacés de 1,5 m sur le rang et 4 m séparent chaque rang. Le désherbage est mécanique, afin de limiter au maximum le recours aux intrants phytosanitaires. L'intégralité du verger est irriguée par le biais d'un système de goutte-à-goutte suspendu au niveau du premier fil de palissage.
Cinq filets de quatre fournisseurs différents sont sélectionnés pour l'essai. Chaque filet est installé avec les accessoires disponibles chez son fabricant afin de refléter au mieux les consignes d'installation préconisées. Alors que les quatre premiers filets (1 à 4 sur la figure 1) sont installés pendant l'hiver 2021, le cinquième est venu rejoindre la gamme durant l'hiver 2022.


Pour un rang de 42 m de long, la fermeture des filets nécessite 45 minutes à deux personnes avec une nacelle. Aucune différence notable n'est relevée sur les temps de travaux entre les différents filets. Pour chaque manipulation des filets, à savoir la fermeture du filet en début de saison puis son ouverture en fin de saison pour l'enrouler sur le haut du faîtage afin d'assurer sa protection l'hiver, il faut compter 90 heures de travail par hectare à une personne équipée d'une nacelle. En 2024, comme les années précédentes, les filets sont utilisés trois à quatre mois : ils sont fermés fin avril à l'issue de la floraison puis repliés pour l'hiver une fois la récolte terminée.
Une efficacité qui ne fait plus douter
Pour évaluer l'efficacité des différentes modalités, elles sont comparées à une modalité non couverte et traitée en PFI. Les traitements sur ce rang non couvert ont varié au gré des interdictions et des dérogations de produits de lutte. Ainsi en 2022, l'IMIDAN 50 WG est utilisé sur cette modalité avant d'être interdit à compter de 2023, occasionnant une hausse des IFT (indice de fréquence de traitement) pour maintenir une protection convenable sur Régina, la variété tardive de l'essai dont le cycle de maturité est long. A contrario, sur les modalités filets, jusqu'en 2023, un traitement d'assainissement était réalisé à la fermeture des filets pour s'assurer de l'absence totale de mouches dans la structure. En 2024, l'essai est mené sans ce traitement, accentuant donc d'autant la baisse des IFT insecticides sur ces modalités.

À la récolte, deux à trois prélèvements de 250 cerises sont effectués par modalité et par variété sur l'ensemble des rangs. Les cerises sont triées en fonction de leur état sanitaire : sain ou piqué, avec identification des symptômes pour différencier D. suzukii de Rhagoletis cerasi.
Les premières années d'essai, la pression de D. suzukii est bien contrôlée sur la modalité non couverte et traitée en PFI : le taux de dégâts est faible et oscille entre 4 % et 7 % de la récolte. Sous les filets, le taux moyen de dégâts sur trois ans ne dépasse pas 3 %. Des variations de dégâts sont observées entre les différentes modalités et les années, dues à la situation particulière de l'expérimentation. En effet des pièges composés d'une bouteille percée dans laquelle est placé un mélange d'un volume d'eau, un volume de vinaigre de cidre et un volume de vin rouge complétés de quelques gouttes de liquide vaisselle inodore sont placés sous chaque filet, obligeant à des allers-retours hebdomadaires qui impactent forcément l'étanchéité des protections. Ces pièges ont confirmé l'absence de mouches dans les filets alors que leur présence est vérifiée sur le reste de la parcelle comme l'illustre la figure 5 qui montre les taux de piégeages.

En parallèle des notations relatives à D. suzukii, le nombre de fruits endommagés par R. cerasi est également observé à la récolte. Cependant la pression de ce ravageur est très faible sur la parcelle d'essai : seules deux à trois mouches sont piégées sur les plaques engluées au cours de la saison et aucun dégât notable (maximum 1 % de fruits) n'est observé sur l'ensemble des modalités.
Quel impact sur la qualité des fruits ?
Cet essai se penche également sur la qualité des fruits à la récolte ou, du moins, sur la manière dont les filets peuvent impacter cette qualité. Les filets sont équipés de différentes technologies de protection contre les intempéries qui peuvent avoir une incidence variable sur le taux de fruits fendus et/ou pourris - les différentes maladies ne sont pas différenciées dans cet article.
La notation regroupe les différents types de pourritures observables sur cerise : Monilia, Alternaria, etc. ainsi que les taux de fruits doubles qui sont symptomatiques d'une plus forte chaleur endurée l'année précédente (Micke et al., 1983), chaleur pouvant être accentuée par le microclimat induit par le matériel de protection. Les filets peuvent provoquer un ombrage qui varie selon la taille de la maille utilisée ainsi que la couleur ou l'épaisseur du filet. La lumière favorise la pousse, l'initiation florale et le développement des bourgeons (M.M. Blanke et al., 2017). Un suivi des stades phénologiques, de floribondité et de charge en fruits des arbres est réalisé sans qu'aucune différence notable ne soit encore observée entre les différentes modalités.
La saison 2022 a été très chaude et sèche. Ces conditions climatiques sont particulièrement peu propices à l'apparition de fruits pourris ou fendus. De plus, les filets n'étant pas en place l'année précédente, la notation des fruits doubles ne faisait pas sens puisqu'ils dépendent des températures en année N-1. L'impact sur la qualité des fruits n'a donc pas pu être évalué en 2022. En 2023, cette analyse est menée : la saison est particulièrement humide avec de nombreuses pluies sur la période de maturation des fruits. En résulte un taux de fruits fendus et pourris plus élevé qu'en 2022. De manière générale, en 2023, sur la modalité non couverte et traitée en PFI, il y a plus de dégâts observés, tous défauts confondus. Pour la variété Regina, la valeur est plus basse car cette variété est moins fragile : 11 % d'écarts de tri sur la modalité non couverte et traitée en PFI. Du fait d'un nombre trop faible de répétitions, les statistiques ne permettent pas de mettre en évidence une différence entre les modalités. Cependant des tendances sont observées : parmi les modalités sous filet, la modalité Emis présente le plus de fruits fendus : 7 % sur Belge et 9 % sur Regina ; une valeur à surveiller les prochaines années. Pour ce qui est du taux de fruits doubles ou pourris, les valeurs sont stables entre les modalités.


Pour la saison 2024, les observations se sont concentrées sur la variété Belge, la plus sensible à l'éclatement et aux pourritures. Les écarts de tri sont moins importants qu'en 2023 : 8,3 % sur la modalité non couverte et traitée en PFI, le résultat d'un printemps certes humide mais moins que l'année précédente. Les analyses statistiques ne permettent à nouveau pas de mettre en avant une différence significative entre les modalités mais montrent une tendance à un nombre de fruits fendus plus important sous le filet Emis (4 %) que sous les autres filets (0 à 1,7 %).
Des conditions climatiques monitorées
Pour suivre les conditions climatiques hors et dans les filets, une sonde est installée sur chaque modalité. Cette dernière mesure la température et l'humidité entre la fermeture et l'ouverture des filets.
La figure 8 présente une situation classique en saison en dehors d'un épisode de pluie. L'humidité relative est généralement plus faible sur la modalité non couverte et traitée en PFI que sous les filets. En effet, la modalité non couverte et traitée en PFI est mieux aérée. Sous les filets, l'humidité varie. Sur l'ensemble des périodes observées, il n'y a pas de filet qui se distingue avec une humidité plus forte que les autres en dehors des épisodes pluvieux.

Lors d'un épisode pluvieux, les équilibres changent. Une hausse de l'humidité relative est observée sur la modalité non couverte et traitée en PFI. L'humidité relative y est bien plus importante que sous les filets. Cette humidité baisse également plus vite, du fait d'une meilleure aération. Il y a cependant des variations plus importantes de l'humidité autour des arbres, ce qui peut favoriser l'éclatement des fruits à cause de la fragilité de leur épiderme.


Du côté des filets, les modalités Filpack Anisolar et CAPL présentent l'humidité la plus faible en cas d'intempérie. En effet ces deux rangs sont équipés d'une bâche anti-pluie qui est bien plus étanche face aux pluies qu'un filet multicouche déperlant. Pendant les pics d'humidité, le filet Texinov présente l'humidité la plus élevée. Cela peut s'expliquer par sa conception : la bâche de couverture est composée de bandelettes glissées et cousues dans le filet. Cette structure semble donc plus poreuse qu'une simple bâche.
Concernant les températures, une tendance est observée notamment lors des épisodes de forte chaleur (Figure 10) : sous le filet Filpack équipé de la bâche Anisolar, il fait plus chaud, +1 °C en moyenne. Ces données sont à surveiller mais aucun impact n'est encore observé sur la formation de fruits doubles ou sur l'état général des arbres. Pour ce qui est de la température moyenne, les autres modalités se comportent globalement comme la modalité non couverte et traitée en PFI.

Ces suivis seront bien sûr plus significatifs après plusieurs années d'essais. Bien que le positionnement des sondes soit homogénéisé au maximum dans la végétation, des aléas d'observations sont possibles à cause de la variation de l'exposition des capteurs entre les modalités. Une analyse plus fine incluant les températures et les humidités minimales et maximales sera également réalisée dans le cadre de cet essai.
De nombreuses données encore à acquérir
Cet essai a pour vocation de perdurer dans le temps. Ces premières années d'essai ont permis de collecter d'importantes données sur le matériel en testant son efficacité en conditions expérimentales. Si des tendances commencent à se dessiner quant à l'impact des structures sur la qualité des fruits ou l'impact du microclimat, l'efficacité de ces couvertures ne fait pas défaut. Il sera intéressant d'observer les impacts sur la végétation et son développement au fil des ans. Une analyse technico-économique prenant en compte la durée de vie du matériel permettra, à terme, d'obtenir des informations opérationnelles pour guider les producteurs dans leurs choix. Cet essai sera étoffé avec de nouveaux filets afin de refléter au mieux l'ensemble des dispositifs actuellement disponibles pour les producteurs. La pose d'un nouveau rang de filet est prévue en 2025.
Les données clés à retenir
Une gamme de filets anti-insecte monorang contre Drosophila suzukii qui s'étoffe - Une gamme de filets anti-insecte monorang contre Drosophila suzukii qui s'étoffe
Face à la réduction des moyens de protection chimique à disposition, les producteurs s'orientent progressivement vers des solutions alternatives de lutte contre Drosophila suzukii. Des filets monorang équipés de protections anti-pluie sont mis en place depuis 2022 en verger de cerisiers sur l'antenne CTIFL de La Tapy. Après ces premières années d'installation, l'efficacité des structures est observée ainsi que leur impact sur la qualité des fruits et sur le microclimat autour des arbres. Sur le long terme, l'objectif est d'évaluer la durabilité des différents filets disponibles sur le marché tout en surveillant leur impact sur la végétation et les récoltes.
Key points
A growing range of single-row anti-insect nets against Drosophila suzukii - Protection against Drosophila suzukii
With fewer chemical protection methods available, growers are gradually turning to alternative solutions to combat Drosophila suzukii. Single-row nets fitted with rain covers have been in place since 2022 in cherry orchards at the La Tapy CTIFL centre. After the first few years, the effectiveness of the structures has been observed, as has their impact on fruit quality and the microclimate around the trees. In the long term, the aim is to assess the durability of the various nets available on the market, while monitoring their impact on the vegetation and harvests.
Bibliographie / Sitographie
Micke W.C., Doyle, J.F. and Yeager T.T. (1983) Doubling potential of sweet cherry cultivars. California Agriculture March-April, 24-25
M.M. Blanke, G.A. Lang, M. Meland, (2017) Orchard Microclimate Modification