Vers un outil d'aide à la décision pour décarboner les serres en Europe

Projet Interreg Nord-Ouest Europe RE-Greenhouse

Vers un outil d'aide à la décision pour décarboner les serres en Europe
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La culture sous abri est en plein essor en Europe et dans le monde. Elle garantit la sécurité alimentaire et une utilisation optimale des sols et de l'eau. Dans de nombreux pays d'Europe, elle implique du chauffage, généralement par combustion d'énergies fossiles. Le projet RE-Greenhouse va développer un outil d'aide au choix des énergies alternatives.

Publié le 01/07/2025

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Un développement important des serres en Europe

Une part importante des légumes destinés à la consommation en frais dans l'Union européenne (UE) est produite sous abri, c'est-à-dire dans des structures utilisées pour cultiver et/ou protéger des plantes et des cultures. Ces structures favorisent la transmission du rayonnement solaire dans des conditions contrôlées afin d'améliorer l'environnement de croissance. Leur taille permet à des personnes d'y travailler, selon la norme NF EN 13031-1.

Ces abris couvrent environ 210 000 hectares [1]. Dans certains pays, les surfaces sont conséquentes : 76 600 ha en Espagne en 2022 (selon Statistica), 30 000 ha en Italie (selon Richel Group) et environ 10 500 ha pour la France et les Pays-Bas (Figure 1). À l'échelle mondiale, la surface des serres augmente également fortement et notamment dans certains pays comme la Chine. La surface mondiale totale atteint près de 5 630 000 ha dont 496 800 ha pour les cultures maraîchères (Hortidaily 2019, 2 janvier) (Figure 2, [2]).

Figure 1 : Surfaces des abris dans les principaux pays européens

Figure 2 : Top 10 des surfaces d'abris dans le monde [2]

Une combinaison de facteurs explique pourquoi la culture sous serre s'impose comme une pratique privilégiée dans de nombreux pays : une grande efficacité dans l'utilisation du sol quelle que soit la saison, une plus grande sécurité économique, une meilleure résistance aux maladies et une forte économie d'eau. La grande efficacité dans l'utilisation du sol, quelle que soit la saison, s'explique par des rendements qui peuvent être multipliés par au moins six sur une surface identique entre une culture de plein champ et une culture sous serre. La plus grande sécurité économique est favorisée par le fait que les cultures sous abri sont moins exposées aux aléas climatiques tels que les fortes pluies, le vent, les gelées tardives et plus généralement au changement climatique. Les serres offrent une meilleure résistance aux maladies car cultiver en environnement protégé permet de réduire fortement l'usage des pesticides et d'introduire plus facilement des auxiliaires dans les cultures. Dans un contexte de raréfaction de l'eau et de modification dans les régimes de précipitations dus au changement climatique, l'efficience en eau, et notamment en culture hors-sol, permet notamment d'en limiter les consommations. Par exemple l'efficience est multipliée par 3,5 en tomate entre la culture hors-sol et la culture en sol de plein champ [3].

Cependant, pour fonctionner toute l'année, les cultures sous serre de toutes les régions de l'Union européenne situées au nord de la ligne Porto-Barcelone-Rome-Thessalonique nécessitent un certain apport de chaleur, principalement issu de la combustion d'énergies fossiles. Cette combustion représente 75 % des émissions des serres chauffées [4], avec une empreinte carbone estimée entre 150 g éq. CO2 pour les serres peu technologiques [5] et 1 800 g éq. CO2 pour les serres high-tech [4] par kilogramme produit. Avec environ 30 000 ha de serres chauffées dans l'UE (Eurostat, 2019), une estimation très approximative des émissions des cultures sous serre s'élèverait à environ 10 millions de tonnes équivalent CO2.

En 2022, selon le service de statistique de la Direction Générale de l'Énergie et du Climat, les gaz à effet de serre (GES) en Europe représentent 3 400 millions de tonnes équivalent CO2 (Figure 3). Selon le Parlement européen, le secteur agricole pèse 10,8 % de ces émissions soit environ 367,2 millions de tonnes équivalent CO2. La part du secteur des serres chauffées est estimée ainsi à 2,7 % du secteur agricole. Cette situation n'est plus socialement acceptable. Le Pacte Vert pour l'Europe (European Green Deal) vise à faire de l'Europe le premier continent climatiquement neutre d'ici 2050. Il impose de prendre des mesures concrètes pour neutraliser l'impact climatique du secteur des serres chauffées et ainsi accélérer la transition vers des systèmes durables. Ainsi, le projet RE-Greenhouse a pour objectif d'accélérer la transition de l'utilisation des combustibles fossiles vers la production, le stockage et la consommation d'énergies renouvelables dans le secteur des serres pour les régions du nord-ouest de l'Europe. Ce projet regroupe 11 partenaires. Il a démarré fin 2023 pour une durée de 4 ans et bénéficie d'un soutien financier européen de 2,30 M€ pour un coût total du projet de 3,80 M€.

Figure 3 : Émission des gaz à effet de serre en Europe

Création d'un outil d'aide à la décision pour la source d'énergie renouvelable la plus adaptée localement

La région Interreg Nord-Ouest de l'Europe présente la plus forte densité de serres chauffées d'Europe. Elle utilise des combustibles fossiles comme principale source d'énergie dont essentiellement le gaz naturel. Le projet vise à donner les connaissances nécessaires aux différentes parties prenantes du secteur des serres tels que les exploitants serristes, les équipementiers, les conseillers mais également les pouvoirs publics, pour qu'ils puissent identifier les meilleures sources d'énergies alternatives. En effet, l'expertise internationale sur les sources d'énergie renouvelables est difficilement accessible par les producteurs. Cela conduit, par manque de temps, à une très faible utilisation des moyens et des connaissances pour prendre des décisions. Un outil sera donc créé pour faciliter la prise de décision des différents acteurs. Cet outil s'appuiera notamment sur les données de six sites pilotes des pays partenaires. Ces sites pilotes utilisent déjà des énergies alternatives comme la biomasse, la pompe à chaleur, le biogaz, le photovoltaïque ou l'énergie récupérée sur procédés industriels appelée énergie fatale.

Le projet se décompose en trois tâches principales. La tâche 1 a pour objectif de faire un état de l'art des outils existants et de la bibliographie sur la thématique de l'énergie et des serres dans les cinq pays participants au projet. Les sites pilotes sélectionnés sont ceux qui utilisent des énergies alternatives et sont déjà opérationnels (analyses et retours d'expérience). Cette tâche définira également les données à collecter sur les sites pilotes pour alimenter l'outil. La tâche 2 vise à créer l'outil d'aide au choix des énergies renouvelables à partir des données extraites des sites pilotes, des données issues de la bibliographie ou de précédents projets, des informations et retours terrain provenant des consultations des parties prenantes du projet. Cet outil doit donner, par exemple, des ordres de grandeur de puissance à installer, de quantité de combustible (pour la biomasse par exemple), de surfaces de panneaux dans le cadre du solaire thermique ou de températures de réseau. Il sera également possible de donner, par pays, des ordres de grandeur de prix de l'énergie, de coût d'investissement et d'aides mobilisables. Chaque pays consulte un groupe local d'utilisateurs constitués de différentes organisations, qui sont parties prenantes, afin de prendre en compte leurs attentes vis-à-vis de l'outil. La tâche 3 a pour objectif de communiquer et de créer des formations sur l'outil pour 50 organisations : utilisateurs de serres, fédérations, décideurs politiques, conseillers en énergie, industriels, constructeurs de serres, etc. L'outil sera déployé sur 35 serres sous forme de systèmes de vouchers. Les premiers tests s'effectueront sur des groupes locaux d'utilisateurs (Figure 4). Il est également prévu des campagnes de communication et des visites de démonstration dans les sites pilotes.

Figure 4 : Interaction des parties prenantes au niveau de l'outil

Le planning du projet est défini dans la figure 5 avec une première version de l'outil prévue en 2026.

Figure 5 : Planning du projet RE-Greenhouse

Présentation des partenaires du projet RE-Greenhouse

Ce projet rassemble des experts en matière d'énergies renouvelables, de gaz à effet de serre, de modélisation des données, de gestion de l'énergie, de végétal, de flux et de simulation, de développement d'outils de décision et de formation. Il est porté par Inagro, un centre de recherche localisé en Flandre-Occidentale (Belgique) et travaillant sur les innovations en agriculture et horticulture. Ce projet réunit différents partenaires situés en Belgique, en France, en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas (Figure 6).

Figure 6 : Logo des partenaires du projet RE-Greenhouse

Les partenaires participent aux différentes tâches du projet selon leurs compétences. Leurs principales contributions sont précisées ci-après. En Allemagne, IfaS, Institut de Gestion Appliquée des Flux de Matières de l'Université des sciences appliquées de Trèves, a en charge la création et le développement de l'outil. En Belgique, Inagro alimente l'outil par les données des deux sites pilotes localisés sur ses centres d'expérimentation. Boerenbond est la plus grande organisation d'agriculteurs de Belgique avec 10 500 membres. Elle participe à l'envoi de données issues d'autres projets énergies et à la formation sur l'outil. FarmTech Society, une association belge, accueille des membres issus de l'industrie CEA (Controlled Environmental Agriculture), d'entreprises, d'établissements d'enseignement et d'autres associations sectorielles nationales et internationales. Elle participe à la formation à l'outil et joue un rôle dans la communication du projet. Au Luxembourg, IFSB, Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment, a un site pilote qui fournit les données pour l'outil et s'occupe de la formation. En France, Astredhor, Institut français des professionnels du végétal, a un site pilote chez un horticulteur dont les données alimenteront l'outil. Il est impliqué dans la création de l'outil, la communication et la formation. Le CTIFL a un site pilote chez un producteur de tomate dont les données alimenteront l'outil. Il est impliqué, comme Astredhor, dans la création de l'outil, la communication et la formation. Végépolys Valley, pôle de compétitivité du végétal en France, s'occupe d'un appel international à intérêt pour le déploiement de l'outil, de sa communication auprès des différentes parties prenantes et des échanges avec le groupe local d'utilisateurs français. Aux Pays-Bas, Greenport West-Holland (GPWH) est l'organisation en réseau de l'écosystème des serres dans la province de Hollande du Sud. Les partenaires de cette organisation sont les gouvernements régionaux, les entrepreneurs de serres et les organisations de recherche et d'éducation. Ils interviennent dans l'ensemble des tâches et ont un site pilote. L'Université des sciences appliquées de La Haye (THUAS), située aux Pays-Bas, est un groupe de recherche ayant de l'expertise dans les énergies renouvelables. Ils interviennent essentiellement dans la création de l'outil. Community Westland (WL) développe un réseau de chauffage urbain durable dans le Westland et intervient au niveau du site pilote des Pays-Bas.

Description des sites pilotes

Les six sites pilotes sont situés en Belgique, en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas (Figure 7). Inagro, en Belgique, suit deux sites pilotes localisés sur leurs centres expérimentaux. Le premier site utilise de la chaleur provenant d'une cogénération fonctionnant au biogaz pour chauffer une serre de 4 418 m2 (Figure 8). Le second site, Agrotopia, est une serre expérimentale de 9 000 m2 localisée sur le toit d'un bâtiment, chauffée par un réseau de chaleur alimenté par un incinérateur municipal Mirom et une cogénération au gaz naturel (Figure 9).

Figure 7 : Localisation des sites pilotes du projet RE-Greenhouse

Figure 8 : Schéma technique du site pilote Inagro (Belgique)

Figure 9 : Schéma technique du site pilote Agrotopia (Belgique)

En France, le site suivi par le CTIFL est une serre verre de 7 ha de tomate du groupe Savéol. Elle est chauffée par un incinérateur de chaleur de 9 MW et se situe à Briec, dans le Finistère (Figure 10). Le second site, suivi par Astredhor, est la société Soupe Horticulture dans l'Ain (Figure 11). Ce site dispose de 2,5 ha de serres en verre et en plastique pour une production de plants d'ornement et pour potager. Les serres sont chauffées par une chaudière biomasse de 2,4 MW (Figure 11).

Figure 10 : Schéma technique du site pilote serre de tomate (France)

Figure 11 : Schéma technique du site pilote serre ornementale (France)

Au Luxembourg, une serre de 380 m2 suivie par l'IFSB et localisée au-dessus d'un restaurant, est chauffée par une chaudière biomasse à pellets de 100 kW. 474 panneaux photovoltaïques rigides et souples produisent 190 MWh d'électricité pour la serre et le bâtiment. Cela couvre 100 % des besoins électriques de la serre, tandis que le surplus est utilisé par le bâtiment.

Le sixième site est localisé aux Pays-Bas dans la zone du Westland. Cette zone est la plus importante du pays en termes de concentration de serres, avec 2 700 ha. Cette zone est chauffée par géothermie et par un réseau de chaleur, alimenté par différentes usines de Rotterdam.

Pour conclure

Si les serres sont une réponse au changement climatique sur bien des enjeux, l'utilisation d'énergies fossiles pour la gestion climatique est un point critique qui impose à l'ensemble des pays européens d'apporter des solutions techniques mais également économiques pour limiter, voire s'affranchir des énergies fossiles. Le projet RE-Greenhouse répond à cet enjeu. Les résultats sont fortement attendus par l'ensemble des acteurs de la filière Serre afin d'avoir des clés pour la décarbonation.

Les partenaires français impliqués aux côtés du CTIFL

Dans ce projet, deux autres partenaires français sont fortement impliqués : Astredhor avec David Vuillermet, Joris Bosc, Mathilde Perrier et Laure Dreux ainsi que Végépolys Valley avec Henry Freulon et Léa Minier.

Les données clés à retenir

Le projet RE-Greenhouse s'inscrit dans la dynamique de décarbonation de la filière Serre en Europe. Son ambition est d'accélérer la transition énergétique des productions sous serre en remplaçant les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Ce projet se focalise sur la région Interreg du nord-ouest de l'Europe, qui concentre la plus forte densité de serres chauffées par énergies fossiles. Le projet RE-Greenhouse regroupe 11 partenaires situés en Belgique, aux Pays-Bas, en France, au Luxembourg et en Allemagne. L'objectif est de développer un outil d'aide au choix des énergies alternatives. Cet outil s'appuie notamment sur les données de six sites pilotes utilisant déjà ces énergies.

Key points

Towards a decision-making tool for decarbonisation of greenhouses in Europe

The Interreg Northwestern Europe RE-Greenhouse project


The RE-Greenhouse project is part of the drive for decarbonisation of the greenhouse sector in Europe. Its ambition is to accelerate the energy transition of greenhouse production by replacing fossil fuels with renewable energy. The project ­focuses on the Interreg region of North-West Europe, which has the highest density of greenhouses heated by fossil fuels. The RE-Greenhouse project brings together 11 partners from Belgium, the Netherlands, France, Luxembourg and Germany. The aim is to develop a tool to help choose alternative energy sources. This tool is based on data from six pilot sites already using these sources of energy.

Bibliographie / Sitographie

[1] Pinho B., «Greener greenhouses promise more energy-efficient growing power» .Horion The EU Research&-Innovation Magazine». European Commission, 2024

[2] Tong X., Zhang X., Fensholt R., Jensen P.R.D., Li S., Larsen M.N, Reiner F., Tian F., Brandt M. «Global area boom for greenhouse cultivation revealed by satellite mapping» .Nat Food. P.513-523. 2024

[3] Pardossi A., Tognoni F. et Incrocci L. « Mediterranean Greenhouse Technology. The world of Horticulture» p.28-34.2004

[4] Grisey A., Gaillard Y., Mireur M., Le Cunff Y., Le Leslé L., Goy V., Richard Breyne C., et Serandour J. « Améliorer l'empreinte environnementale de la tomate et du concombre sous abri. », Infos CTIFL, no 406, p. 30 35, mai. 2025.

[5] Torrellas M., Anton A., Torrellas M., Ruijs M., Victoria N.G., Stanghellini C., et Montero J.I. « Environmental and economic assessment of protected crops in four European scenarios». Journal Of Cleaner Production 28 : p.45-55. 2012.